Mise en abyme

Procédé artistique ou littéraire qui consiste à répéter un élément à l'intérieur d'éléments similaires. Exemples : deux miroirs se font face et renvoient de multiples reflets d'eux-mêmes ; un écran de contrôle, lui-même filmé par une caméra, retransmet sa propre image à l'infini ; un personnage de théâtre joue le rôle d'un comédien ; un roman dans un roman ; les poupées russes ; la Vache qui rit® et ses boucles d'oreilles. L'expression a été forgée par André Gide en 1893. Il note dans son journal : "J'aime assez qu'en une œuvre d'art on retrouve ainsi transposé, à l'échelle des personnages, le sujet même de cette œuvre par comparaison avec ce procédé du blason qui consiste, dans le premier, à mettre le second en abyme." À cette occasion il rétablit le y étymologique du mot abîme (1) qui évoque une cavité naturelle et sans fond. Par la suite, Claude-Edmonde Magny dans Histoire du roman français depuis 1918 (1950) établit définitivement le succès de l'expression dans la critique littéraire.

Mais qu'est-ce qui fait rire la vache ?

Elle rit d'avoir été créée par le dessinateur Benjamin Rabier (1864 -1939), célèbre entre autres pour ses caricatures d'animaux en tête desquelles le canard Gédéon (16 albums entre 1923 et 1939). Il est également la source d'inspiration d'Hergé pour le personnage de Tintin.

Pendant la première guerre mondiale deux poilus, Léon Bel et Benjamin Rabier, ravitaillent leurs camarades à bord d'un autobus. En face, l'armée allemande a inscrit sur ses propres camions de ravitaillement l'inscription Walkyrie par référence à la mythologie scandinave. En guise de réponse, Benjamin Rabier peint une vache à l'expression hilare sur son véhicule. Il la nomme Wachkyrie par dérision. De retour à la vie civile, Léon Bel a l'idée de récupérer les chutes de fromage du Jura pour les fondre et les vendre en portions. En 1921 il dépose sa marque rebaptisée Vache qui rit. A partir de 1924 ses boîtes sont agrémentées du dessin revisité de son camarade Benjamin Rabier : désormais la vache porte des boucles d'oreilles en forme de boîtes à son image. C’est ainsi qu’un lien subtil peut s’établir entre le consommateur et l'infini.

(1) Le mot grec abussos a d'abord évolué vers le mot latin abyssus, qui s'est modifié en abysmus, abismus, ce qui a donné en français abysme, abyme, abisme puis  abîme.


[Retrouvez ce billet dans L'Almanach 2009 du Garde-mots]