Dans le meilleur des cas l'éléphant paraît normal mais il sent la rose
. Si vous êtes content pour l'éléphant, vous êtes parfumeur. Si cela vous peine pour la fleur vous êtes poète.

La rose est grise et l'éléphant est rose. A l'évidence, ils ont conservé leur vertu. Si cette nouvelle vous déçoit, renoncez à la poésie. Si elle vous attriste, écoutez le silence, il cache peut-être une bonne nouvelle. Si elle vous met en joie dites-vous que le chemin est encore long avant l'édition de vos œuvres complètes.

L'éléphant et la rose se déclarent amoureux. Demandez-leur de vous fournir une preuve. S’ils refusent, réjouissez-vous : ils sont faits l'un pour l'autre, et vous pour la poésie. S'ils vous demandent l'adresse d'une bijouterie vous êtes perdu : ils sont victimes de leur imagination et vous de vos ambitions littéraires.

La rose est piétinée et l'éléphant a la trompe en tire-bouchon. Ne cherchez pas de vase pour rafraîchir la rose, ce serait de l'insouciance, surtout pas de la poésie. Une rose flétrie reste une rose, il n'y a pas besoin de lui redonner sa couleur, encore moins de la consoler. Si vous pleurez sur le méfait de l'éléphant vous n'êtes pas poète mais zoophobe. Si vous lui faites des reproches dites-vous bien que vous manquez d'humour. Vous risquez de réveiller les voisins qui vous ne le pardonneraient pas. Vous auriez peut-être envie de leur offrir la rose et vous ne savez même pas s'ils aiment les fleurs. Si vous faîtes des reproches à la rose ou si vous lui demandez pourquoi c'est une rose, vous êtes marchand de biens, sismologue ou réceptionniste. Si vous étiez poète vous poseriez délicatement la rose sur le rebord d‘une fenêtre en attendant le lever du soleil. Vous rêveriez, pour tromper le temps, au bourgeon dont elle est issue.

L'éléphant est piétiné et la rose dort debout. Si cela vous étonne vous êtes un être virtuel. Vous n'êtes pas poète mais vous-même objet de poésie. Si vous tenez ce spectacle pour un fait digne de narration, continuez à chercher, vous êtes sur la bonne voie. Si vous êtes triste pour l'éléphant, asseyez-vous sur la chaise la plus proche et attendez que les mots peuplent votre esprit. Regardez à l'intérieur de vous-même, vous allez sans doute y découvrir un sonnet.

L'éléphant pleure et vous pensez aux risques d'inondation. Descendez prévenir les voisins puis courez-vous jeter à l'eau, vous ne serez jamais poète. Si vous cherchez dans votre poche un gigantesque mouchoir à carreaux, continuez, la poésie pourrait bien débarquer un de ces jours.

La rose pleure et vous vous dites que c'est normal. Vous êtes réaliste et savant, et en plus vous avez raison : elle le fait tous les matins à l'aube. Dites-vous qu'elle est timide et que vous ne vous en étiez pas aperçu. N'en concluez pas qu'elle a eu des relations intimes avec l'éléphant. Elle a peut-être transpiré de peur.

Vous avez l’impression qu'il ne s'est rien passé entre l'éléphant et la rose. Chacun dort dans son coin. La rose est sur le lit et l'éléphant dans la baignoire. C'est normal, nous vivons dans un monde où tout doit être à sa place quand les autres ont les yeux ouverts. Vous en concluez que vous n'êtes pas poète ? Vous avez raison : si vous n'y croyez pas vous ne serez jamais poète. Vous désirez devenir poète malgré tout ? C’est bon signe, mais il vous faut encore subir une épreuve. Allez rôder près de la gare de Perpignan. Donnez rendez-vous à la rose aux pieds de la statue de Dalí et pleurez en silence en attendant l'arrivée du train. Si elle est en retard racontez votre histoire à Dali. Si elle ne vient pas partez en exil sans même prendre le temps de faire un mot-valise.

Vous décidez de revenir un autre jour sans ouvrir la porte ni même oser frapper ? Vous êtes réaliste, avec un rien d'obstination et d'insolence. Aucune tendresse dans tout cela. Peut–être un peu de timidité ou de voyeurisme. Pas de poème à l'horizon : c'est heureux pour la poésie.

Vous essayez de mettre la rose dans la trompe de l'éléphant ? Vous venez d'inventer un procédé littéraire ou un fantasme érotique. Cependant ne comptez pas sur les caprices de l'esprit libertin pour asseoir votre triomphe. Il se peut qu'il se fasse attendre. Pour patienter écrivez des vers. La poésie daignera peut-être y faire un tour.

La rose et l'éléphant sont en grande conversation. Cette vision du petit matin vous semble impudique. Révisez vos classiques, vous avez peut-être oublié de lire André Breton.

Vous auriez voulu faire un enregistrement vidéo mais vous avez oublié votre caméra ? Vous n'êtes pas poète mais chef de projet.

Vous n'avez pas suivi mes conseils par peur de l'hybridation ? Vous ne serez jamais poète, ou alors si vous le devenez vous écrirez des poésies bourgeoises. Vous participerez au championnat de rime. Peut-être même gagnerez-vous le premier prix.

Vous ne croyez pas un mot de ce que je dis ? Vous êtes un scientifique. Branchez votre ordinateur et écrivez des prospectus.

Vous ne voulez pas savoir ce qui s'est passé ? C'est normal il ne s'est rien passé et vous vous en doutez. Cette tendance à fuir la réalité est un commencement. Oubliez la grammaire et mettez-vous à écrire.

Vous avez des hallucinations : la rose et l'éléphant valsent dans la même bouteille. Vous décidez, finalement, que c'était une expérience pour rire. Bientôt vous recommencerez avec une voiture et un séquoia géant et vous aurez envie de convoquer la presse. Vous oubliez sans doute qu'on n'y publie pas de poésie.

L'éléphant et la rose n'ont jamais existé. Si le spectacle de leur absence vous émerveille, il est temps de vous mettre à l’eau de pluie. Vous touchez peut-être au but. Cependant vous n'allez pas écrire tout de suite en images. Il vous faudra encore attendre une lune ou deux.

Tout est calme. Vous écoutez le silence derrière la porte : entendez votre cœur battre en poésie et pleurez.


[Retrouvez la rose et l'éléphant dans un
dessin animé torride...]

[Retrouvez ce billet dans L'Almanach 2009 du Garde-mots]