Tais-toi et chante
Par le gardien le vendredi 27 mai 2005, 00:23 - Versimots - Lien permanent
La scène représente un enfant de chœur. Une femme vient à la rencontre du public, vêtue d'un sourire étrange et sans yeux.
La femme: Loin de moi
l'idée de vous plaire. Je veux seulement réduire la part des choses. Qui me
désire m'arrache à la lumière. Qui me séduit invente le regard.
Un diable, vêtu de rouge comme dans le monde réel, fait son
apparition.
Le diable (il chante):
Je suis le poète improbable
L'instinct maudit
Aimé du feu
Et des orages
Il tourne la tête et découvre la
Vérité.
Le diable (jetant un coup d’œil circulaire): Vous
ici, alors qu'il fait si froid dans ce crâne ! (Il ouvre sa cape rouge d'un
geste large). Puis-je vous offrir de quoi vous réchauffer? A l'heure où
tout disparaît, même le temps, le matin est un prétexte, le soir une solitude.
Que l'éternité vous donne asile en mon nom !
La Vérité: Je préfère vivre loin de mes amants. Car je sais
faire l'amour debout contre le vent, plus nue que le soleil, en retenant mes
larmes et mes cris. Balayer les paysages jusqu'à nourrir l'horizon. Aimer qui
me regarde. En un mot je suis moi-même, sans autre prétention que le silence.
Pour m'avoir dans ses bras il suffit de penser très fort. Il n'est pas
nécessaire de me promettre la vie.
Le diable: J'aurai le dernier mot. Que l'ombre vous porte
jusqu'au crime et se réjouisse de vos plaintes. Si au moins vous étiez
transparente. Si seulement vous vous appeliez Tentation ...
Le diable s'en va. La Vérité, d'un geste lent et irréel, lève lentement les
bras et referme les paupières du théâtre. L'enfant de chœur est maintenant un
adulte sans regard, et qui ne sait plus quoi faire de sa fragilité. Personne
n'applaudit, il est trop tard.
Commentaires
"J'aime celui qui m'aime
Est-ce ma faute à moi
si ce n'est pas le même
que j'aime à chaque fois?"
J. Prévert
Comme cela nous semblerait flou
inconsistant et inquiétant
une tête de vivant
s'il n'y avait pas une tête de mort dedans.
J.Prévert
"Quand la vérité n'est pas libre, la liberté n'est pas vraie."
(Jacques Prévert / 1900-1977 / Spectacles)
Les derniers maux seront pour le diable. La liberté sera vraie, la vérité sera libre. No passaran!
"J’ai toujours été intact de Dieu et c’est en pure perte que ses émissaires, ses commissaires, ses prêtres, ses directeurs de conscience, ses ingénieurs des âmes, ses maîtres à penser se sont évertués à me sauver. […]
Et je m’en allais, là où ça me plaisait, là où il faisait beau même quand il pleuvait, et quand, de temps à autre ils revenaient avec leurs trousseaux de mots-clés, leurs cadenas d’idées, les explicateurs de l’inexplicable, les réfutateurs de l’irréfutable, les négateurs de l’indéniables, je souriais et répétais : «C’est pas vrai!» et «C’est vrai que c’est pas vrai!».
Et comme ils me foutaient zéro pour leurs menteries millénaires, je leur donnais en mille mes vérités premières."
(Jacques Prévert / 1900-1977 / Choses et autres)
Quand la vie a fini de jouer,la mort remet tous en place. La vie s'amuse,la mort fait le ménage. Peu importe la poussiére qu'elle cache sous le tapis,il y a tant de chose qu'elle oublie. Jacques Prévert...
Pour terminer la semaine sur une note joyeuse, usant et abusant du thème "La Jeune fille et la Mort", pourquoi ne pas ressortir cette chose terrible de Baudelaire: La Charogne.
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme, Ce beau matin d'été si doux : Au détour d'un sentier une charogne infâme Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique, Brûlante et suant les poisons, Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d'exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture, Comme afin de la cuire à point, Et de rendre au centuple à la grande nature Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;
Et le ciel regardait la carcasse superbe Comme une fleur s'épanouir. La puanteur était si forte, que sur l'herbe Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride, D'où sortaient de noirs bataillons De larves, qui coulaient comme un épais liquide Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague, Ou s'élançait en pétillant ; On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague, Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique, Comme l'eau courante et le vent, Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique Agite et tourne dans son van.
Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve, Une ébauche lente à venir, Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète Nous regardait d'un oeil fâché, Épiant le moment de reprendre au squelette Le morceau qu'elle avait lâché.
Et pourtant vous serez semblable à cette ordure, A cette horrible infection, Étoile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô reine des grâces, Après les derniers sacrements, Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses. Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine Qui vous mangera de baisers, Que j'ai gardé la forme et l'essence divine De mes amours décomposés !
Intéressants rapprochements !
Message personnel adressé au gardien :
C'est foth qui m'a remis sur mes traces et m'a fait arriver ici. Presque deux ans... Mais y a deux ans pourtant, j'savais pas que ... sourire