Les Fleurs du Mal
Par le gardien le samedi 23 juin 2007, 14:09 - Actumots - Lien permanent
C'est aujourd'hui le 150e anniversaire de la publication des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire. Merci, Évène, de nous le rappeler.
Au Lecteur
La sottise, l'erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.
Sur l'oreiller du mal c'est Satan
Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.
C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent!
Aux objets répugnants nous trouvons des appas;
Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.
Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d'une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.
Serré, fourmillant, comme un million d'helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un
peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre âme, hélas! n'est pas assez hardie.
Mais parmi les chacals, les panthères, les
lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants,
rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,
Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde!
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde;
C'est l'Ennui! L'œil chargé d'un pleur involontaire,
Il rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
— Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère!
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal.
Commentaires
Merci de nous réimprégner de l'écriture baudelairienne, si aristocratique dans sa richesse et si pénétrante dans la vision qu'elle offre de notre réalité existentielle.Sombre, elle éblouit, oratoire, elle touche au plus intime de nos angoisses, et atteint à ce paradoxe qu'elle demeure fascinante, à l'instar du regard du poète tourmenté, où ne cesse de briller le feu
primordial.
quel bon retour sur un billet comme celui ci...
baudelaire...quel talent...quel spleen...
C'est sûr que ça te change de l'américain.
bonjour Garde,
oui en effet toute la culture francaise me manque, quand on parle d'exception culturelle francaise je voyais ca d'un air un peu pompeux mais c est faux. je ne sais pas si elle est plus large ou fournie qu'ailleurs mais une chose de certaine elle est tres accessible que cela passe par des petits concerts de groupes francais, des expo, des blogs...
La rime baudelairienne avait fini par user mes enthousiasmes et freiner mes lectures des Fleurs du mal. Je la trouvais conventionnelle, "mesquine" aurait persiflé Rimbaud. Puis j'ai goûté à nouveau ce vin capiteux. Je suis d'accord avec daniel. L'écriture du poète est fascinante. En dépit du carcan des rimes et de la forme poétique, Baudelaire est éblouissant. Son vers crie et nous trinquons. Tchin !
Il fallait un temps de repos, de nonchalance baudelairienne...