Brève histoire de Giuseppe Verdi

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Joseph-Fortunin-François Verdi est né aux Roncole, hameau de Busseto, près de Parme, le 10 octobre 1813. Ses prénoms figurent en français sur son acte de naissance car, à l'époque, la région faisait partie de l'Empire français sous le nom de « département du Taro ». Fils d'un très modeste aubergiste-épicier, il montre très vite des dons pour la musique et devient organiste dès l'âge de dix ans. Il commence à composer vers treize ans et est joué pour la première fois à quinze (il s'agit d'une Sinfonia). Un riche négociant de la ville, Antonio Barezzi, dont il épousera plus tard la fille, facilite ses études musicales. Nommé en 1836 Maître de Chapelle de Busseto, il commence à écrire de la musique religieuse, mais va s'installer assez rapidement à Milan où il donne son premier opéra, Oberto, créé le 17 Novembre 1839. Bientôt il perd de maladie sa femme et ses deux enfants. En 1842, c'est le triomphe de Nabucco et de son Chœur des esclaves, le fameux « Va, pensiero, sull'alli dorate » (« Va, pensée, sur tes ailes dorées ») : les Hébreux, captifs à Babylone, pensent avec nostalgie à leur pays occupé et réclament leur libération. L’air est tellement apprécié que, dès le premier soir, le public italien, mélomane s’il en est, raccompagne Verdi chez lui en le fredonnant. Ce chant devient rapidement l'« Air de la liberté », symbole du Risorgimento, donc de la résistance à l'occupant autrichien ainsi que de la volonté d'unification de l'Italie. Un slogan apparemment à la gloire du musicien est crié un peu partout en Italie, mais il faut mettre des points après chaque lettre de son nom car les foules qui lancent « Viva V.E.R.D.I. » sous-entendent en même temps « Viva Vittorio Emanuele, Re D'Italia ». Dans les années qui suivent Verdi parcourt l'Europe où sont donnés nombre de ses chefs-d'œuvre de musique dramatique et religieuse, avec parmi les plus connus : Rigoletto (1851), Il Trovatore (1853), La Traviata (1853), Un Ballo in Maschera (1859), La Forza del destino (1862), Aïda (1871), le Requiem (1874), Otello (1887), Falstaff (1893). Il meurt à Milan le 27 janvier 1901.

Verdi était d’un caractère entier. Les premières répétitions de Un ballo in maschera ne le satisfont pas car il estime les rôles de femmes mal distribués. Il écrit à son impresario : « Convenez que j'ai été un rare modèle d'abnégation de n'avoir pas repris ma partition pour partir à la recherche de chiennes moins aboyeuses que celles que vous m'avez offertes ! ». Très volontaire, il déclare à son ami Arrivabene : « Les forces me manqueront peut-être pour arriver là où je veux arriver mais je sais parfaitement ce que je veux. » Autoritaire, il contrôle tous les aspects de ses opéras en imposant sa volonté aux librettistes, chefs d'orchestre et chanteurs qui travaillent avec lui, ce qui revient à dire que Verdi est vraiment l'auteur de ses opéras. Pendant la composition de Nabucco, par exemple, il fait enfermer son librettiste Témistocle Solera dans une pièce afin d'obtenir de lui, sur-le-champ, le texte de la prophétie de Zaccaria.

Il était également très individualiste et indépendant. L'anecdote la plus typique à ce propos concerne ses rapports avec son village natal, Busseto. Il fréquente peu les gens du lieu. Bravant leurs préjugés, il vit sans être marié avec Giuseppina Strepponi, la cantatrice qui a créé le rôle d'Abigaille dans Nabucco. Il se moque à tel point des convenances qu'en 1859, lorsqu'il décide de régulariser sa situation conjugale, il se rend secrètement à Collonges-sous-Salève, en Savoie. Il demande au curé titulaire d'aller se promener et se fait marier par un curé venu spécialement avec lui, en présence de deux témoins, son cocher et le bedeau. Quand il rentre dans son village il ne dit mot de son nouveau statut social, pour le plaisir d’opposer un mépris silencieux aux ravages du qu’en-dira-ton.

Il sait juger sa musique à son exacte valeur. Après le succès de Nabucco, qui lui donne des ailes, il s'impose à ses commanditaires. Par exemple lors de la création de I lombardi alla prima crociata (1843), il se fait payer autant que Bellini pour la Norma, alors que Bellini est au sommet de sa gloire. Lors de la création de Rigoletto à Venise il décide de ne donner la partition du fameux air « La donna e mobile » qu'au dernier moment, pour mieux produire un effet de surprise. Il sait que cet air va connaître un succès populaire. Le lendemain tout Venise chante ce morceau qui nous fait encore vibrer. A la création de Macbeth, il refuse une chanteuse trop belle et dont les qualités sont trop grandes car il veut faire interpréter le rôle de Lady Macbeth par une femme laide et qui ne sache pas chanter ...

Dans sa musique, très souvent en harmonie avec la situation théâtrale, descriptive, il refuse les ornementations de ses prédécesseurs et le théâtre chanté. Il ne veut pas que la musique soit une illustration du texte, il faut qu'elle participe au drame. Il recherche à tout prix à ce qu'elle soit en congruence avec l'action et l'expression des sentiments. La musique est, en quelque sorte, l'épicentre de l'opéra, c'est elle qui fait l'unité.

La musique de Verdi cherche la réalité de l'être. Elle exige une exécution parfaite car le moindre clin d'œil, le moindre abandon musical ou scénique, ferait un effet désastreux. Ceci est vrai pour tout l'opéra, mais prend un relief particulier chez Verdi, qui, dans son souci d'être authentique, laisse peu de marge entre la vulgarité et le génie. Je me souviens d'une représentation du Trovatore en 1983 à l'opéra de Vienne : le Chœur des Bohémiens était ponctué de réels coups de marteau sur les enclumes, ce qui donnait une lourdeur que l'on pourrait qualifier de « germanique », à la limite de l'excès. Le même morceau exécuté à Lyon en 1991 sous la baguette de Maurizio Arena, un très grand verdien d'origine sicilienne, était un délice : les forgerons faisaient semblant de taper sur les enclumes et une seule cloche, dans l'orchestre, donnait le rythme et la sonorité voulus. C'était poétique, aérien, réussi.

La musique de Verdi est puissante, car le compositeur y a inclus sa propre énergie. Pour nous en assurer examinons d'un peu plus près son 26e et dernier opéra, Falstaff, composé d'après Les joyeuses commères de Windsor de William Shakespeare. Cette œuvre est d'autant plus surprenante qu'il l'a écrite à 80 ans (la première représentation eut lieu le 9 février 1893, à la Scala de Milan). Verdi réussit l'exploit de changer de genre à un âge avancé. Il est intact quand il écrit Falstaff puisque, reprenant toutes les techniques qu'il a pu acquérir au cours de sa carrière, il y ajoute de nouvelles forces et des sonorités inédites. Il s'agit du dernier morceau de bravoure d'un vieillard et en même temps d'une œuvre novatrice, pleine d'humour, qui préfigure les opéras du XXe siècle. Son harmonisation et son orchestration sont riches et brillantes, et d'ailleurs cet opéra-bouffe est un vaste éclat de rire. La musique y est pleine de vitalité, d'invention, et d'une modernité incroyable pour l'époque. On note une grande générosité de la mélodie, un tempo très vif, si bien que l'on pourrait croire qu'il s'agit de l'œuvre d'un jeune homme dans toute sa fraîcheur.

Si vous demandez « Comment peut-on être verdien? », je réponds « Comment peut-on ne pas être verdien ? », puisque cette musique, dans sa vérité profonde, est capable de faire vibrer ce que nous avons de plus intime. « Copier le vrai », disait Verdi, « c'est peut-être une bonne chose, mais inventer le vrai est mieux, beaucoup mieux. »


[Retrouvez ce billet dans L'Almanach 2009 du Garde-mots]

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