C'était un marchand de cochonnaille, devenu prince par les hasards de la filiation. Sa couronne était de lard fumé ; son sceptre, qui avait la forme d'un caducée, se composait d’une saucisse de Strasbourg et d’un gros cornichon. Son compte en banque était plus confortable qu’un trône, car il avait hérité de son grand-père d'une principauté d’opérette qui lui rapportait plus d'argent que son commerce. Il y organisait des séances de loto dont le succès auprès des veuves et des anciens bagnards était indiscutable. Il continuait cependant à fabriquer du boudin et des vol-au-vent pour le plaisir.

Il rencontra une marchande de poissons aux yeux de sole rieuse, à la bouche en forme de murène et aux seins blancs comme des carpes délavées. Dès qu'il la vit il sut qu'ils se marieraient et qu’ils entreraient un jour dans la légende du quartier. Toutefois il se demanda s'il arriverait à lui faire des enfants car il manquait d'informations sur la méthode.

Il devait en premier lieu lui parler. L'endroit était propice puisqu'il s'agissait d'une camionnette sécurisée aux vitres aveugles, garée sur un boulevard peu fréquenté, au milieu d'autres véhicules tout aussi discrets.

Il ne comprit pas tout de suite qu'elle arrondissait ses fins de mois, quand il n'y avait plus de colin à l'étalage, en rencontrant des messieurs esseulés contre de la monnaie sonnante et trébuchante. Il crut d'abord que c’était une poissonnière ambulante, mais s’aperçut assez vite de son erreur. Il lui suffit, pour cela, de constater que la camionnette n'embaumait pas seulement l'océan mais également le patchouli et d'autres senteurs moins nobles. Cette fragrance multiple, plutôt agréable pour un marchand de tripes, voilait des remugles corporels qu’il valait mieux ne pas nommer ni respirer de trop près.

Il eut malgré tout envie de lui dire des mots tendres. Comme il n'en connaissait pas il se contenta de lui demander son nom, ce qui lui valut une réponse pour le moins inattendue : "Je m'appelle Églantine. Je pousse des cris quand on m'arrose."  Il trouva la répartie normale pour quelqu'un qui portait un nom de fleur. Puis il se déshabilla car il faisait très chaud. Du fait qu'il n’avait que 39 ans il ignorait que ce geste était un des préludes de l’amour. Ni ses parents ni ses précepteurs n'avaient évoqué devant lui l'existence d'une telle manœuvre.

La marchande de poissons crut qu’il voulait une passe et se déshabilla à son tour. C’est ainsi qu’il put observer pour la première fois les secrets de la féminité sans savoir pour autant quelle suite pratique il fallait donner à cette découverte. Heureusement pour son éducation, Églantine prit l’initiative. Avec autorité elle le prit dans ses bras et l'invita à étudier de plus près son anatomie. C’est alors qu’un événement incroyable se produisit. Un élément jusqu’ici négligé de son corps eut soudain un comportement autonome et ambitieux.

Tout se passa ensuite très vite et d’une manière aussi banale que dans les autres couples. Vingt secondes plus tard le Prince n’était plus tout à fait aussi naïf. Tandis qu'il se rhabillait il vit la marchande de poissons prélever de l’argent dans son portefeuille. Il ne savait pas pourquoi mais cela ne l’empêcha pas de se dire qu’il voulait l’épouser. Il se souvint alors qu’il était timide et décida qu’il ferait sa demande un autre jour.

Il revint auprès d'elle une semaine plus tard, couronné de lard et tenant d’une main ferme son sceptre comestible. Il lui demanda si elle voulait bien recommencer tous les soirs ce qu’ils avaient fait la dernière fois, sans pour autant lui réclamer de l’argent pour la bonne raison qu’il lui proposait le mariage. La belle accepta car, à 70 ans, elle pensa qu’il était temps de se reposer. Sa camionnette n'avait plus de ressorts et elle-même se sentait un peu fatiguée par une longue vie de commerce en tous genres.