Tu te réveilles...

Tu vois encore de grands trous d'ombre,
Des gueules ouvertes, des dents de roches,
Un grand feu
Léchant le métal.

Tu as vu, retiré de la mer incendiée,
Le sel bouchant le noir des longs couloirs brûlés,
Le mouvement des grandes masses d'eau-tu te souviens
De la clameur de leur défaite.

Tu glissais parmi le chaos,
Poussant les roches au rire,
Cherchant l'amitié du feu.

Tes flancs, ta bouche accouchaient les végétaux,
Les animaux criant d'espoir et s'en allant
Attendre la poussée de leur chair exigeante.

Tu faisais claquer la lagune sur ta langue,
Tes doigts montaient dans les écorces,
Tu collais à ta peau
Toute l'argile.

(Guillevic, Terraqué)


Guillevic (Terraqué)
Guillevic (1907-1997), dit le "menhir vivant", l’un des grands poètes du XXe siècle, a publié son premier recueil, Terraqué, à 35 ans (1942). Il est né à Carnac où, comme il le disait lui-même, il apprit "à marcher entre les mégalithes". Il signait ses textes de son seul patronyme.

Il a donné à la littérature française une poésie simple, à son image en quelque sorte. Voici la note que j’ai rédigée après l’avoir rencontré au cours d'une soirée poétique, il y a près de trente ans :

Guillevic n’est breton qu’à l’extérieur : visage de loup de mer, des yeux qui lisent l’horizon, mais sa peau est lisse malgré la barbe. Sa voix est forte, comme celle qu’on prête au Commandeur.

C’est en effet une statue qui vient de lire des poèmes. Entré vivant dans la légende, il a la responsabilité de ne pas décevoir. Et pourtant il n’est guère plus que ses livres. C’est pourquoi je lui ôte ses étoiles : celles qui séparent ses courts poèmes. Alors naît le poète. Un livre comme Carnac doit se lire d’un bout à l’autre sans reprendre son souffle et non poème après poème. Avant de le rencontrer les étoiles me cachaient le poète (15 mai 1982).