Cratylisme
Par le gardien le vendredi 19 novembre 2010, 00:00 - Métamots - Lien permanent
En établissant un rapport entre le son et la signification le cratylisme attribue ainsi un caractère naturel, quasi religieux, à l’étymologie, suggère l’hypothèse d’une langue universelle, idéalise la juste façon de nommer les choses. On retrouve une idée voisine avec le mythe de la Tour de Babel (Dieu punit les hommes de leur prétention à construire une tour qui monterait jusqu'au ciel en les dispersant et en les faisant parler diverses langues au lieu de la langue unique qu'ils employaient jusque là). On pourrait presque remonter au premier verset de l'évangile de Jean « Au commencement était le verbe » puisque les mots sont censés mimer la réalité. Les auteurs de la Renaissance, Rabelais en tête, ont éprouvé un vif intérêt pour le cratylisme. De nos jours le poète suisse Ferenc Rákóczy en fait même l'acte fondateur de tout processus poétique.
Mots voisins : iconicité (ressemblance naturelle entre le signe et ce qu’il signifie), langage (système de signes vocaux et graphiques destiné à l'expression de la pensée et à la communication entre les hommes), langue (système de signes vocaux et graphiques permettant la communication entre les individus au sein d’une même communauté), parole (usage concret du langage articulé dans le but d'exprimer ses pensées et ses sentiments), sémantique (étude de la signification des unités d'une langue), signe (unité linguistique constituée d'une partie physique, matérielle, le signifiant, et d'une partie abstraite, conceptuelle, le signifié), signifiant (part matérielle, sonore ou visuelle, du signe), signifié (part conceptuelle, sémantique du signe).
Le terme fait référence au dialogue de Platon, le Cratyle, dans lequel l’un des interlocuteurs de Socrate, Cratyle, défend la thèse d’une relation motivée entre les mots et les choses. Pour lui, les mots sont attribués aux choses de manière symbolique et figée par le « Législateur ». L’autre personnage, Hermogène, ne croit qu’à l’arbitraire des mots (comme le fera plus tard Ferdinand de Saussure), dont les noms sont établis par convention entre les hommes ; autrement dit il n’y a pas de lien entre un son et ce qu’il signifie.
L’arbitraire du signe est certainement réducteur mais nous savons le dépasser. La vérité du langage ne réside pas dans les mots mais dans ce que nous en faisons. L’art du poète ne consiste-t-il par à créer de toute pièce un cratylisme artificiel et militant, tel celui de la langue des oiseaux ? À transcender le langage, qui constitue habituellement un découpage conceptuel de la réalité, pour en faire un système ouvert susceptible de réenchanter le monde ? En ce sens le travail de Francis Ponge est un cratylisme inversé qui va de l’objet au mot qui le désigne.
Commentaires
Au risque de paraître pédante, je vous ferai remarquer que le verset "Au commencement était le verbe" se trouve au début de l'Evangile de Saint Jean, et non de la Genèse qui débute par ces mots : "Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre..."
Cordialement vôtre.
Ce n'est pas de la pédanterie, mais une précision importante. Merci.
Je voudrais bien comprendre ce qui est un catrylisme.
S'il vous plaît, vous pouvez me dire si le
mot 'chuchoter' que, selon j'ai appris à la classe de français, vient d´une onomatopée, on peut dire que ce mot est un cratrylisme? Merci
Chuchoter est un mot forgé sur l'onomatopée « Chut ! » qui veut dire « Taisez-vous ! ». D'après votre question je devine que vous pensez que le cratylisme est une figure de rhétorique. Non, il s'agit d'un principe de philosophie qui considère, d'une certaine manière, que tous les mots sont des onomatopées.
Maintenant je comprends parfaitement, merci beaucoup. C'est la raison dont vous disiez que si cette théorie était vrai, tous parlerions la même langue.
A propos, saviez-vous que "chuchoter" vient aussi de “chouette” le nom de l'animal qui a aussi une origine onomatopéique, par le petit bruit (chut chut chut) que font les chouettes?
Non, je ne le savais pas. Merci.