Rousseau et les échecs

Jean-Jacques Rousseau fut initié aux échecs en 1733 à Chambéry par un genevois du nom de Gabriel Bagueret. À son arrivée à Paris il se mit à fréquenter le lieu favori des joueurs de l’époque, le Café de la Régence. Lui-même n’était pas un grand joueur, mais, comme pour la musique il caressait l’espoir de s’illustrer  dans ce domaine : « Je me disais : Quiconque prime en quelque chose est toujours sûr d’être recherché. Primons donc, n’importe en quoi ; je serai recherché, les occasions se présenteront, et mon mérite fera le reste. »


En 1760 il joue contre Louis-François de Bourbon, prince de Conti (1717-1776), un cousin de Louis XV, et se permet, contre l'usage de l'époque, de gagner la partie. Il rapporte l’épisode dans le livre X des Confessions : « Je savais qu’il gagnait le chevalier de Lorenzy, qui était plus fort que moi. Cependant, malgré les signes et les grimaces du chevalier et des assistants, que je ne fis pas semblant de voir, je gagnai les deux parties que nous jouâmes. En finissant je lui dis d’un ton respectueux, mais grave : 'Monseigneur, j’honore trop Votre Altesse sérénissime pour ne la pas gagner toujours aux échecs.' Ce grand prince, plein d’esprit et de lumières, et si digne de n’être pas adulé, sentit en effet, du moins je le pense, qu’il n’y avait là que moi qui le traitasse en homme, et j’ai tout lieu de croire qu’il m’en a vraiment su bon gré.  (…) Peu de jours après, il me fit envoyer un panier de gibier, que je reçus comme je devais. A quelque temps de là, il m’en fit envoyer un autre, et l’un de ses officiers des chasses écrivit par ses ordres que c’était de la chasse de Son Altesse, et du gibier tiré de sa propre main. Je le reçus encore ; mais j’écrivis à madame de Boufflers que je n’en recevrais plus. Cette lettre fut généralement blâmée, et méritait de l’être. Refuser des présents en gibier, d’un prince du sang, qui de plus met tant d’honnêteté dans l’envoi, est moins la délicatesse d’un homme fier qui veut conserver son indépendance, que la rusticité d’un malappris qui se méconnaît. Je n’ai jamais relu cette lettre dans mon recueil sans en rougir, et sans me reprocher de l’avoir écrite. Mais enfin je n’ai pas entrepris mes Confessions pour taire mes sottises, et celle-là me révolte trop moi-même pour qu’il me soit permis de la dissimuler. »

Pour suivre cette partie d’un bout à l’autre cliquer ici puis sur « Une autre partie ? », sélectionner la partie n° 24, puis « next ». Les spécialistes se contenteront peut-être de lire ceci :
1.é4 é5 2.Cf3 Cç6 3.Fç4 Fç5 4.ç3 Dé7 5.O-O d6 6.d4 Fb6 7.Fg5 f6 8.Fh4 g5? 9.Cxg5!! 9... fxg5 10.Dh5+ Rf8 11.Fxg5 Dg7 12.f4! éxd4 13.f5 dxç3+ 14.Rh1 çxb2 15.Fxg8 bxa1=D? 16.f6! Dxg8 17.Fh6+ Dg7 18.fxg7+ Rg8 19.Dé8#

En 1840 Louis-Charles Mahé de La Bourdonnais (1750-1843) interroge le vieux Chevalier de Barneville sur les parties qu’il jouait avec Rousseau en 1768 :

« - Quelle partie faisiez-vous avec Jean-Jacques Rousseau ?
- Je lui donnais la tour.
- Il était donc bien faible.
- Mais en revanche, dit le chevalier, il avait un amour propre colossal, et le plus affreux caractère de joueur d'échecs qui ait existé. Comme il avait la manière de se croire grand mathématicien et de faire de la musique avec des chiffres, il voulait appliquer les calculs algébriques à l'échiquier. Nous plaisantions fort là dessus et alors il brouillait les pièces du jeu avec une certaine rage peu philosophique, et on ne le voyait plus au café pendant quinze jours. » (La régence, journal des échecs, avril 1851).

Rousseau par François Gérard

François Gérard. Portrait de J.J. Rousseau, 1822.
Dans ce portrait posthume Jean-Jacques est en bonnet arménien et caftan.