"L'imprécateur": tel est le nom de code donné à l'un des ravisseurs de Florence Aubenas et Hussein Hanoun, à cause des hurlements et menaces qui tenaient lieu, chez lui, d'arguments.

L'imprécation était, dans l'Antiquité, une prière faite pour attirer sur quelqu'un la punition divine. C'est aussi un classique de la rhétorique: il s'agit de la figure de style par laquelle on souhaite des malheurs à celui dont on parle ou à qui l'on parle. A ce titre, l'imprécation la plus violente de la littérature est celle que Camille dans Horace, de Corneille, fait entendre contre Rome, où elle est née. Son amant, Curiace, est du camp ennemi. Il vient d'être tué par le frère de Camille. Ce qui nous vaut un monologue, si l'on ose dire, à l'emporte-pièce (Acte IV, scène 5):

Rome, l'unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais, parce qu'elle t'honore !
Puissent tous ses voisins, ensemble conjurés,
Saper ses fondements encor mal assurés !
Et si ce n'est assez de toute l'Italie,
Que l'Orient, contre elle, à l'Occident s'allie !
Que cent peuples unis des bouts de l'univers
Passent pour la détruire et les monts et les mers !
Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles !
Que le courroux du ciel allumé par mes vœux,
Fasse tomber sur elle un déluge de feux !
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre,
Voir ses maisons en cendres, et tes lauriers en poudre !
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause, et mourir de plaisir.

En 1976 j'ai été le témoin des imprécations d'un pope dans la cour du monastère grec Hossios Loukas (Saint-Luc), près de Delphes. A l'arrivée d'un groupe de touristes il s'était mis à vociférer en levant les bras au ciel. Selon lui la société était mauvaise et il appelait sur elle la vengeance divine. Cette diatribe d'un autre âge, dans un anglais sombre et cruel, résonnait étrangement dans ce décor de rêve.