LA PLACE DAUPHINE

(…) Il est une autre place dans la ville de Paris qui ne cause pas moins de satisfaction par sa régularité et son ordonnance, et qui est, en triangle, à peu près ce que l'autre [la place Royale] est en carré. Elle a été bâtie sous le règne de Henri le Grand, qui la nomma place Dauphine et l'on admira alors le peu de temps qu'il fallut à ses bâtiments pour couvrir tout le terrain vague de l'île de la Gourdaine. Ce fut un cruel déplaisir que l'envahissement de ce terrain, pour les clercs, qui venaient s'y ébattre à grand bruit, et pour les avocats qui venaient y méditer leurs plaidoyers : promenade si verte et si fleurie, au sortir de l'infecte cour du Palais.

À peine ces trois rangées de maisons furent-elles dressées sur leurs portiques lourds, chargés et sillonnés de bossages et de refends ; à peine furent-elles revêtues de leurs briques, percées de leurs croisées à balustres et chaperonnées de leurs combles massifs, que la nation des gens de justice envahit la place entière, chacun suivant son grade et ses moyens, c'est-à-dire en raison inverse de l'élévation des étages. Cela devint une sorte de cour des miracles au grand pied, une truanderie de larrons privilégiés, repaire de la gent chiquanouse, comme les autres de la gent argotique ; celui-ci en brique et en pierre, les autres en boue et en bois. (…)

Gérard de Nerval. La main enchantée.

[mot suggéré par Perrine]