Zeugme
Par le gardien le jeudi 5 janvier 2006, 00:02 - Métamots - Lien permanent
Procédé qui consiste à réunir plusieurs
membres de phrase au moyen d'un élément linguistique qu'on ne répète pas. Cet
élément – mot ou groupe de mots – est sous-entendu dans la deuxième partie de
la phrase avec une signification identique : J'aime la soupe et la musique
de Mozart, ou différente : Le camembert est coulant et les plages de
Normandie accueillantes. Dans la deuxième phrase on emploie d'abord "est"
puis l'on sous-entend "sont". Ce procédé joue souvent sur la polysémie.
Étymologie : du grec zeugma, joug, lien. Synonymes : zeugma,
attelage.
Les exemples dus à Pierre Desproges sont incontournables :
- En achevant ces mots, Damoclès tira de sa poitrine un soupir et de sa redingote une enveloppe jaune et salie.
- Prenant son courage à deux mains et sa Winchester dans l'autre, John Kennedy se tira une balle dans la bouche.
- Après avoir sauté sa belle-soeur et le repas du midi, le Petit Prince reprit enfin ses esprits et une banane. [double zeugme]
On en trouve, bien sûr, chez certains collègues de Desproges :
- Vous régnez ; Londres est libre et vos lois florissantes (Voltaire).
- Vêtu de probité candide et de lin blanc (Hugo).
- A défaut de sonnette, ils tirent la langue (Paul Valéry).
- J'ai l'estomac fragile et horreur du graillon (Jules Romains).
- Je m'étonnais de son aménité et que ses yeux fussent rougis par les larmes (François Mauriac).
- Robert avait toujours exigé sa ration de sucre dans le café et de politesse dans la conversation (Hervé Bazin).
- Le ciel s'est couvert de rage et de plumes (Raymond Queneau).
- Tout jeune Napoléon était très maigre et officier d'artillerie.
Plus tard il devint empereur.
Alors il prit du ventre et beaucoup de pays.
(Jacques Prévert) -
[sur une recommandation
de Michel-Louis]
[Retrouvez ce billet dans L'Almanach 2009 du Garde-mots]
Commentaires
Pour les curieux, il y a une page terrible concernant les zeugmes là.
J'ai toujours aimé aller voir un film avec mes copains et Emmanuelle Béart...
Je suppose que vous avez été voir La belle noiseuse ? Oui, mais qui était nu dans cette affaire ? Tes copains ou Emannuelle Béart ?
bonsoir Gardien.
Merci pour cette belle définition. Si j'ai bien compris le sens c'est un peu, craindre les réprimandes et l'humidité. A bientôt.
xuan-lay
Bonsoir!
J'ai une question quasi-existentielle sur la nature du zeugme :)
Est ce que dans le cas d'une phrase du type "J'aime la lecture et nager" on peut dire que cela relève d'un zeugme ? Si on s'en tient à la définition que vous donnez il semblerait (cela serait un zeugme assez "quelconque") , mais comme la plupart des exemples mettent en valeur un certain decalage comique, je me demandais si ce decalage devait forcément apparaitre pour que cela relève d'un zeugme ? ( j'ai un doute soudain sur la clarté de mes propos)
En résumé est ce que les membres de phrases réunis par ce procédé doivent forcément être en décalage?(comme c'est le cas dans tous les exemples cités je crois)
Merci!
C'est exactement ça, un zeugme. Le comique n'est pas obligatoire. Dans l'exemple hugolien"("Vêtu de probilité candide et de lin blanc") l'effet n'est pas comique mais poétique. Le décalage découle nécessairement du zeugme, il n'y a pas besoin d'en rechercher l'effet.
Ça c'est un kakemphaton.
Rhôôoo... mon mot préféré ! je l'avais perdu et vous me le retrouvez ! Je jubile, merci ;o)
Pour répondre à une question posée ici par le Ninja bleu, on qualifie différemment le zeugme selon qu’on considère la signification des mots qui le composent (zeugme sémantique) ou leur place dans la phrase (zeugme syntaxique). Ainsi on appelle :
- zeugme sémantique (ou "attelage") un zeugme dans lequel sont associés des termes de nature différente, l'un abstrait ("probité"), l'autre concret (lin), pour reprendre l'exemple ci-dessus de Victor Hugo.
- zeugme syntaxique (ou "zeugme de construction") un zeugme dans lequel les mots s’inscrivent de manière différente dans la construction de la phrase. Exemple, Il croyait à son étoile et qu'un certain bonheur lui était dû (André Gide).
Je vous sais fins lettrés, et gré de partager
vos mille connaissances, et cela sans partage.
Bel exemple. Merci.