Vous reprendrez bien un peu de copeaux ?

Une déclaration du ministre de l’Agriculture, Dominique Bussereau, nous apprend que des copeaux de bois vont bientôt parfumer les vins français, y compris les grands vins de terroir. Si l'utilisation de copeaux est pour l'instant prohibée, il doit bien y avoir une raison, non ? Alors pourquoi nous menace-t-on de rétablir cette pratique d’un autre âge (courante au XVIIe siècle) ? Il s’agit, paraît-il, de « séduire la clientèle avec un goût boisé » ...

Jus de raison contre jus de raisin

Certes la pratique est autorisée par l'Union européenne. Certes la mondialisation est cruelle avec la filière viticole. Ces raisons ne sont pas suffisantes, pour autant, pour que nous laissions des marchands jouer à qui-perd-gagne avec notre palais. Le vin a plusieurs milliers d’années, mais – qui sait ? - il aura peut-être disparu avant la fin de ce siècle ... Il est question, nous dit-on, de « faire le vin du consommateur », d'adapter la production viticole aux lois du marché, quitte à aller « à l'encontre du goût français pour séduire les palais étrangers », comme le suggère le rapport de Bernard Pomel commandé par le ministère de l'Agriculture, « au risque de heurter les puristes » … Si je comprends bien, nous devons oublier le don que la nature nous a faits et arrêter de nous cramponner à une tradition archaïque ? Les français ont montré leur méfiance à l'égard de l’Europe unie. Le monde politique s’imagine peut-être qu’en leur désapprenant le goût de l’authentique il va regagner leur confiance ?

Les papilles font de la résistance

Après le vin de garage voici le vin de copeaux, à l'arôme truqué dans des barriques en inox. Ce sera sans mes papilles car je ne bois que lorsque c’est bon. J’aime le vin de vigneron mais pas celui des œnologues. J’en consomme peu mais j’aime l’idée qu’au fond de mon verre il y a un terroir, l’amour d’un vigneron pour sa vigne, un soin de parent expérimenté pour son enfant fragile, et tout au long d’une année de patience une pensée pour l’amateur que je suis. J’aime beaucoup Rimbaud et Baudelaire mais je ne les lis pas tous les jours. Eh bien je ferai la même chose avec le vin. Je n’en boirai que lorsque j’aurai la preuve qu’il y a du vin dans le vin. Le vin ce n’est pas du jus de raisin, plus de l’alcool, du sucre et des tanins. C’est avant tout un objet culturel. Laissons aux économistes la mathématique du vin. Revendiquons haut et fort le vin-plaisir, en quantité modérée, et le divertissement qu'il nous procure. Le vin c’est à nous qu’il appartient !

Appellation d’origine copeaux

Finalement la solution est simple. Exigeons que la loi oblige les vins de laboratoire à afficher la présence de copeaux sur leurs étiquettes. J'imagine d’ici le tolle chez les industriels du vin. Oui, mais que voudrait dire une résistance de leur part ? S’ils ne sont pas d’accord c’est que leur pratique est douteuse, non ? Bientôt nous devrons abandonner les prestigieux AOC, réduits sans vergogne à la mention « Appellation d’origine copeaux ». Quelque chose de l’ordre de l’humain aura disparu. Il n'y aura plus qu'à inventer le vin d'acier, le vin de cuivre, le vin de plomb puis à supprimer le jus de raisin et les levures afin que la dernière trace de fermentation disparaisse de ce breuvage enfin standardisé.