… le bâton de Guignol
 
Que se soit sous le nom de trique, garrot, racine d'Amérique, picarlat ou tavelle, Guignol se sert de son bâton pour battre sa femme et corriger les méchants.

Guignol


Âge avancé et tête de bois

Premier rôle du théâtre de marionnettes lyonnais, Guignol est né il y a très exactement deux cents ans. On reconnaît au premier coup d'œil ce personnage à la tête de bois et au cœur tendre, avec ses joues rondes, son nez camard, son sourcil épais, sa longue natte ou sarsifis, sa vagnotte (redingote marron à boutons dorés), son nœud papillon froissé, son tricorne aux bords rabattus. Son demi-sourire en dit long sur les quatre vérités qu'il débite en zézayant aux habitants de son quartier, le Gourguillon. Il a un fort accent lyonnais mais il le perd quand il se produit à Paris (depuis 1850). Il est, tour à tour, canut (autrement dit ouvrier soyeux, dont il porte l'habit), taffetatier, domestique, marchand. On n'est pas tout à fait sûr de l'origine de son nom. Il vient peut-être d'un de ses contemporains de chair et d'os originaire de la ville de Chignolo en Italie. Une autre hypothèse voudrait que ce nom dérive de guignolant, drôle.

Vif, naïf, malicieux, serviable, bon vivant, c'est avant tout un homme du peuple à la langue bien pendue et à l'esprit frondeur. Il dénonce, avec une bonne dose d'insolence mêlée d'humour, les injustices, hypocrisies et abus de pouvoir. Madelon, sa fenotte (sa femme, en parler lyonnais), porte sur sa robe de laine un tablier fleuri qui ne parvient pas à faire oublier son caractère acariâtre. Son partenaire, Gnafron, le philosophe au nez rouge, a des tendresses répétées pour la dive bouteille, une barbe mal rasée, une bouche édentée, la voix éraillée. C'est l'ami mais aussi le souffre-douleur de Guignol, lequel n'est pas avare de coups de tavelle. Heureusement pour lui, Gnafron porte un tablier de cuir, ce qui est normal pour un gnafre, un regrolleur, un grolier, un péju, autrement dit pour un cordonnier. Les autres personnages de cette comédie truculente, bon enfant, sont Toinon (la femme de Gnafron), Cadet, Canezou (propriétaire), le bailli (juge), Flageolet, gendarme de son état, et Guillaume (le fils de Guignol).

Le comique de répétition et de situation qui caractérise ce théâtre est caffi (rempli) de textes savoureux, auxquels l'accent lyonnais et les distorsions lexicales (parsident pour "président") donnent une incomparable saveur. Les versions pour enfants, bien que souvent talentueuses, ne sont que des sous-produits édulcorés. Les adultes se précipitent aujourd'hui encore au théâtre Guignol de Lyon, pour entendre des vérités sur l'actualité, déversées sur un ton satirique, un peu comme dans la tradition des chansonniers.

Né du chômage

Timbre Mourguet Guignol a un air de famille avec Laurent Mourguet (1769-1844), et pour cause : celui-ci s'est inspiré de sa propre personne pour le créer. C'était un canut sans travail qui, pour gagner sa vie, devint colporteur puis arracheur de dents. Il installa un castelet devant chez lui, dans la rue, pour mieux attirer la pratique avec ses marionnettes à gaine. Il s'en servait également au moment des opérations dentaires afin de détourner l'attention de ses clients. Au début il eut un complice, le père Thomas, mais celui-ci fut, après une brouille, remplacé par sa propre marionnette, c'est-à-dire Gnafron.

Le vocabulaire de Guignol

Parmi les mots les plus savoureux du parler lyonnais, notons : acque (avec), agacin (cor au pied), apincher (épier), bambaner (flâner), barjaquer (bavarder), benouiller (mouiller abondamment), bistanclaque (métier à tisser), bocon (rhume), à cacaboson (accroupi),  canant (agréable), caquenano (benêt), casse (poêle), corgnolon (gosier), débarouler (faire une chute), embiernes (ennuis, difficultés), ficelle (funiculaire), frouiller (tricher), gabouille (boue), gâche (place), gognandises (plaisanteries), gone (gamin), gongonner (grommeler), grolasser (traîner), japiller (parler avec volubilité), se lantibardanner (se balader, flâner), mâchon (bon repas), mâchuré (barbouillé), pâti (chiffonnier), petafiner (abîmer), prendre du souci (se préparer à partir de chez ses amis), quinquin (auriculaire), rhabilleur (rebouteux), tâcher moyen (faire en sorte), yonnais (lyonnais).

Une expo canante

En cette année du bicentenaire de Guignol, Lyon a prévu une quarantaine d'événements autour de Guignol, dont une exposition au musée Gadagne qui rouvre ses portes après travaux (plus exactement, il les entrouvre car il n'est pas encore complètement remis à neuf). Cette exposition est double puisque le musée présente également les souvenirs de Jacques Chesnais, l’un des plus grands marionnettistes du XXe siècle.

*Gourguillon


14 mai 2008. Merci, Mnésique. J'affiche bien volontiers ce texte en parler lyonnais.

- "C'est quelle heure? Mince, va falloir que j'y aille. Mais, avant de prendre du souci j'vais tâcher moyen de vous résumer les mésaventures d'un caquenano telles que l'quinquin me les a rapporté. Je m'fie à lui depuis que ma mémoire me joue des tours. Je l'hypothéquerais pas sur les brouillards du Rhône, mais ça devait se dérouler à une époque où l'on croisait encore des volées de gones dans les allées. De ceux qui coursaient les mirons dans les traboules et qui déramboulaient, à cha un, plutôt que d'empreunter les escayers des pentes de la Croix-Rousse. Les mêmes qui s'farcissaient des bugnes en revenant de la vogue où ils s'étaient adonnés aux auto-tamponnantes. Donc, la guenille en question, faisait visiblement partie de ces types qu'ont jamais eu la gnaque. Il était sapé comme un pâti et avait pas la tête à avoir inventé le bistanclaque. Il aurait même pas donné la dalle à une poutrône. Non, il avait plutot la trogne à aimer la piave, à s'remplir acque la vinasse et à boire le canon pour se ramoner du corgnolon jusqu'à l'agacin. Cette bambane donc, faisait ses besoins à cacaboson sur un cuchon de gadins au pied de la ficelle, indiférent aux canuts et canuses qui barjaquaient et aux passants qui traboulaient en japillant de ces lyonnaiseries que l'on fait revenir à la casse, qui font la réputation des bouchons, mais dont le nom m'échappe. Qu'importe ! Ils auraient tout aussi bien pu discuter de carottes rouges, de racines jaunes, de catons, de panure ou de salade de barabans que cela n'aurait rien changé à la suite de l'histoire… donc, cézigue était probablement mâchuré par quelque canant mâchon quand un gone, qui devait l'apincher depuis un p'tit moment (de nos jours les gones à part bambaner, grolasser et se lantibardanner sont bons qu'a faire des gognandises), passa plan derrière lui et lui fila une bugne sur la caboche, à l'endroit même qui marquait la frontière entre ses cheveux crasseux et son feutre. A cha peu, le temps avait déformé son bugne qui ne devait plus vraiment le protéger du cagnard. Le but de la manœuvre était de lui faire faire une galavanchée pour qu'il débaroule dans la mare de flotte et de gabouille, un peu plus bas, juste à côté d'un cuchon d'équevilles. S'ensuivit l'inévitable gadin. Ce fut le début des embiernes pour la bugne gnolue. Il se mit aussitôt à parler tout seul, à pousser des "Ta mouille" à pleine corgnole à d'invisibles interlocuteurs qu'il aurait volontiers gnaqué s'ils s'étaient trouvés à portée. Puis il se mit à gongonner, tout trempe, pire qu'une panosse, benouillé à en choper l'bocon et sale comme un cayon. Dans la chute l'gars s'était bugné à s'en petafiner l'derrière. Du coup, les s'en voir pour se relever. Lui restait plus qu'à envisager le dégraissage puis à s'débrouiller pour frouiller un poil afin d'obtenir rapidement une gâche chez l'rhabilleur. Le gars devait pas être du coin car, de mémoire, jamais yonnais conchia sous la ficelle. Tous les gones vous le diront : il peut être risqué de s'mettre les miches à l'air sous le funiculaire.

[Retrouvez ce billet dans
L'Almanach 2010 du Garde-mots
]