L'illusion est juste

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Grâce aux couleurs les objets sont plus facilement reconnaissables, les fleurs plus attirantes, l'art plus expressif, nos émotions plus vives. Cependant l'impression recueillie par nos yeux ne rend guère compte de la réalité physique.  En effet les couleurs ne résident pas dans la matière. Elles sont relativement indépendantes de la composition spectrale de la lumière, et nous pouvons légitimement nous demander si elles correspondent à ce qu'elles nous donnent à voir. Elles ne caractérisent qu'indirectement l'univers qui nous entoure. Car la matière absorbe une partie du spectre lumineux et nous renvoie les autres couleurs. Ce sont ces couleurs réfléchies que nous attribuons aux objets alors qu'en réalité nous les voyons du fait qu'ils les refusent. Les feuilles des arbres ne nous paraissent vertes que parce que la lumière qu'elles renvoient est très appauvrie dans les autres couleurs, qu'elles acceptent.

Où résident ces couleurs qui nous induisent en erreur tout en nous informant ? Ce n’est pas notre œil qui les voit. Certes l’information lumineuse est recueillie au niveau de la rétine mais elle devient bientôt, par le phénomène de la transduction, une information électrique conduite jusqu'au cerveau. C'est lui qui reconnaît les couleurs, ou qui, plus précisément, les construit à chacune de nos expériences visuelles. La rétine n'est, en somme, qu'une extension du cerveau.

La perception des couleurs est subjective. C'est une illusion, mais une illusion efficace, qui nous aide à connaître le monde. Notre œil, grâce aux cônes, perçoit les rayons rouges, verts et bleus. Par une infinité de combinaisons il peut voir d'autres couleurs (principe de la « synthèse additive des couleurs »), ce qui nous amène, d’instinct, à corriger les variations chromatiques de la couleur (c’est la « constance perceptive de la couleur »). Quand nous sommes déçus, par exemple, par la dominante jaune d’une photo prise à la lumière d’une ampoule électrique, quand nous trouvons que la photo ne restitue pas le sujet comme nous l’avons vu, c’est l’appareil photo [1] qui a raison ! Il reproduit la réalité physique, alors que notre cerveau estompe ce qui n'est pas dans la norme attendue. Notre plasticité cognitive et affective joue à fond. Et encore nous sommes plus pauvres que beaucoup d'oiseaux qui ne confondent pas - comme nous - un mélange de bleu et de jaune avec le vert !

Les couleurs existeraient-elles si nous n'étions pas là pour les voir ? En tout cas elles interpellent notre perception de la réalité et nous obligent à faire la part belle à notre subjectivité. L’essentiel n’est-il pas que les pommes de Cézanne soient, par la magie des couleurs, aussi réelles et appétissantes que celles d'une corbeille de fruits ?
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[1] Nous jouons alors sur la balance des blancs pour corriger le phénomène.