Qui oserait traiter Picasso d’imitateur se tromperait lourdement. S’il reprend les idées de Velasquez, Ingres, Delacroix,  Manet,  Van Gogh, Pissarro et de bien d’autres, il n’en est pas moins pleinement Picasso. Il l'affirme d'ailleurs à sa manière : « Qu’est-ce qu’un peintre ? C’est un collectionneur qui veut se constituer une collection en faisant lui-même les tableaux qu’il aime chez les autres. Il est avant tout parfaitement lui-même. »

Après Cézanne en Provence en 2006, le musée Granet d’Aix-en Provence abrite jusqu’au 27 septembre  l'exposition Picasso Cézanne, à travers 114  de leurs œuvres (91 Picasso, 23 Cézanne). Certes il n'y a pas les grands classiques, mais quelques œuvres majeures sont tout de même présentées. Nous pouvons ainsi découvrir ce que Picasso, sans jamais perdre le fil de sa propre créativité, doit à Cézanne. Il le considérait comme son seul maître et l’appelait « Monsieur Cézanne ». Picasso a vécu deux ans au château de Vauvenargues, au pied de la montagne Sainte-Victoire, sans essayer de la peindre, par égard pour son aîné. « J’habite chez Cézanne » aimait-il à dire. Ils ne se sont jamais rencontrés, mais Pablo possédait quatre toiles de Paul.

Cézanne cherche avant tout l’harmonie  des couleurs et des formes. Sa « peinture couillarde » comme il la nomme, repousse les limites de la perspective, faisant de lui le précurseur du cubisme. Picasso a repéré ces lignes de force mais il ne reproduit pas, pour autant, les peintures de Cézanne. Son inspiration est beaucoup plus subtile – et maîtrisée. Libérateur de l’univers pictural et artiste de génie, il les prolonge jusqu’à interpeller notre sensibilité la plus secrète. La peinture n’est plus pour lui un instantané mais un instant simultané où le mouvement intérieur révèle notre véritable nature, où toutes les couches d’un objet ou d’un visage nous sont révélées à grands traits (triviale comparaison : un peu comme les calques de Photoshop).

Picasso et Cézanne ont tous les deux le goût de la géométrie et le génie de la composition. Si l’on veut leur trouver une différence, Cézanne peint l’essence du visible et Picasso celle de l’invisible. Cézanne indique le chemin qui mène jusqu’à nous. Picasso l’empreinte et poursuit la route.

En un raccourci saisissant, cette exposition présente les deux phares de l’art moderne, entre lesquels la filiation est certaine. Au deuxième étage, il ne faut pas manquer les photos de David Douglas Duncan, Picasso au château de Vauvenargues. Puis, avant de sortir,  parcourir le fonds du musée Granet pour reposer son œil parvenu au seuil de l'impossible.

Picasso

Cézanne. Gardanne. 1886. Picasso. Vauvenargues II. 1959.