Le 26 avril 1937, jour de marché, des avions
allemands escortés par des bombardiers italiens lâchent, avec l’accord de
Franco, cinquante tonnes de bombes incendiaires sur la population civile de
Guernica, une petite ville du Pays basque espagnol, afin de tester leurs
nouvelles armes. Les chiffres officiels font état de 1654 morts et de plus de
800 blessés.
Dans les semaines qui suivent le gouvernement républicain espagnol commande à
Pablo Picasso (1881-1973) une œuvre destinée à perpétuer le souvenir de ce
tragique événement. Il en fait une immense protestation, presque exclusivement
en noir et blanc, où la souffrance est manifeste et qui constitue l’une des
œuvres majeures du XXe siècle.
Ce tableau est exposé, un mois et demi plus tard, dans le pavillon de l'Espagne
à l'Exposition universelle de Paris de 1937. Il sera ensuite conservé au Musée
d'Art Moderne de New-York jusqu’au rétablissement de la démocratie en Espagne,
selon le souhait de Picasso. Il sera transporté à Madrid en 1981 à
l’occasion du centenaire de la naissance du peintre, d’abord au Casón del
Buen Retiro puis au Museo Reina Sofia à partir de 1992, où l’on
peut le voir actuellement.
Cette vaste toile de 7,82 sur 3,51 mètres,
bien que d’un seul tenant, est organisée comme un polyptique. La représentation
de la violence lui donne, malgré tout, une grande unité. De droite à gauche on
peut voir : une mère portant dans ses bras son enfant mort, elle hurle sa
douleur en direction du ciel d’où est venue la terreur, comme si elle poussait
un cri pour toutes les mères du monde ; un taureau au regard humain, plutôt
protecteur, en écho à la série des minotaures que Pablo Picasso peint depuis le
début des années 30 ; un cheval en pleine agonie ; une femme pliée en deux et
qui en vient presque à ramper car elle a peur de ce qui va tomber sur elle ; un
visage émergeant d’une maison en flammes. Le tout est couronné d’une
source de lumière – soleil et tournesol et ampoule – en forme d’œil, qui
donne à la toile une universalité dont nous nous passerions volontiers. Mais
nous restons sur Terre, ou plutôt atterrés par le soldat mort, tout en bas : sa
gorge est tranchée et son bras sectionné, son épée et son âme sont brisés à
tout jamais. La force, l’évidente barbarie et le cri d’horreur de ce
tableau nous dispensent de toute interprétation symbolique. Picasso
lui-même s’y refusait.
Contentons-nous d’une légende qui a de grandes
chances de correspondre à la réalité. Pendant la Seconde Guerre mondiale,
Picasso, qui vit à Paris, reçoit la visite d'Otto Abetz, l'ambassadeur du
régime nazi. Ce dernier en apercevant une photo de la toile Guernica
lui demande : « C'est vous qui avez fait cela ? », Picasso, en espagnol pétri
de bravoure, lui répond : « Non, c’est vous ».