La photo improbable
Par le gardien le vendredi 20 novembre 2009, 00:00 - Gardimots - Lien permanent
Vendredi 14. Je me promène rue Marcadet, dans le 18e arrondissement de Paris. Je ne me contente pas de marcher, je réfléchis, il n'y a rien de tel pour aérer le cerveau. Je pense à la photo que je ne prendrai jamais... Celle qui n’a aucune chance de venir se perdre sur mon capteur. Pourtant, elle serait belle « comme la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection ».
Le surréalisme, qui fit de cette phrase de Lautréamont sa devise, n'est pas mort avec Breton et Dalí. Notre imaginaire sans limite autorise, aujourd’hui encore, les clichés les plus inattendus. Pourquoi pas la poignée de main du Petit Prince et de Gérard Depardieu ? Ou le Diable entrant dans un bureau de tabac pour demander des allumettes ? Pourquoi pas une paire de chaussures pendue à un fil entre deux maisons ? Ça ne court pas les rues, je sais, mais c'est justement ce qui m'intéresse. Et, pour faire bonne mesure, au moment où je serais prêt à déclencher, un avion, traversant le ciel de Paris, s'inviterait dans la composition. Instant magique, bien au-delà du possible, métaphore de la vieille errance de l'humanité. On a bien le droit de rêver...
Et bien non, je ne rêve pas, je raconte l'histoire à ma façon. Voici la photo improbable mais authentique, et sans retouche :
Objets Marchant Non Identifiés
Notre paire qui est au ciel
Mais qu'est-ce qui bouge dans mon viseur ?
C'est bien un avion
Et voici la photo
improbable
Commentaires
Les photos doivent toujours raconter des histoires,ne serait-ce que les choix du photographe par rapport à son sujet.
Bien sûr que c'est un coup de chance. Il n'en demeure pas moins que c'est émouvant au moment où ça t'arrive et qu'il faut agir vite. L'avion est resté moins de trente secondes dans mon champ de vision car je n'avais pas les yeux au ciel mais dans mon viseur. L'image des chaussure était nette, donc l'image de l'avion était trouble. J'ai d'abord pensé qu'il y avait une mouche. Il m'a fallu comprendre, ajuster, déclencher de façon quasi instantanée.
Je suis en train de lire le livre de Willy Ronis Ce jour-là (Collection Folio). Il a choisi les photos qu'il publie en fonction de l'émotion qu'il a ressentie au moment de les prendre et, dans son texte, il ne parle que de ça. C'est ça aussi la photographie.
La dernière photo a un petit coté Eggleston : Terriblement banal et pourtant tellement sujet à rêveries.
Le thème est drôle car il coïncide avec le salon de la photo qui se tient actuellement au carrousel du Louvre.
Tout à fait d'accord. Cette photo n'a rien d'artistique. Je l'ai attrapée comme j'ai pu. Je le dis plus haut : je n'ai eu que quelques secondes. Elle aurait été meilleure si l'avion avait été plus près des chaussures, mais le temps de comprendre et de zoomer... l'avion, apparemment a refusé de poser. Et puis le ciel était banal. Dans un tel cas tout tourne autour de ce que vit le photographe.
Tes chaussures sont OMNIprésentes...
"Tes" chaussures... Tu crois vraiment que je suis monté les accrocher moi-même ? J'aurais ainsi eu la verdeur des hautes tiges ?
Nenni, mais bravo pour la contrepèterie. Si elle ne sort pas de chez la Comtesse, deux fois bravo. Je pense que le photographe, en tout cas c'est mon cas, s'approprie l'objet de la photo en déclenchant l'appareil. J'adore photographier les paysages au moment où je les trouve tels que je voudrais qu'ils soient. J'adore faire des instantanés des gens au moment où je pense les capter tels qu'ils sont. Leur vérité à ce moment là, je la fais mienne.
Je pense à Don mac Cullin, qui photographie maintenant les landes où il s'est retiré. Dans des paysages où il ne se passe rien, il restitue le souvenir des guerres qu'il a photographiées.
Il faut une sacrée dose de hasard pour prendre cette photo improbable. Voyons ces citations de Milan Kundera qui me semblent bien appropriées au sujet:
"La valeur d'un hasard est égale à son degré d'improbabilité"
"Un évènement n'est pas disqualifié par son caractère accidentel, au contraire c'est le hasard qui lui donne sa beauté, sa poésie"
Blechtrommel. "Le photographe s'approprie l'objet de la photo". Dans le livre dont je parle plus haut Ronis va jusqu'à écrire que toue photographie est un autoportrait.
Mahfoud. Je souscris (j'ai failli ajouter "comme d'habitude"), à ces constatations de Milan Kundera.
Marcher pendant on reflechi « il n'y a rien de tel pour aérer le cerveau ». Je suis totalement d´acord.
Donnez vous un nom à vos photos?
Si vous me le permettez, je voudrais appeler cette photo :
"Mourir dans la tentative" (de voler bien sûr).
Garde, j'ose même dire que, comme les yeux, la photographie est le reflet de l'âme.
Ana, comme vous le voyez il y a en cours une discussion sur la subjectivité du photographe. Aussi me permettrez-vous de ne pas reprendre votre légende. Elle vous appartient. Pour moi c'est "La photo improbable", comme le titre du billet.
Mahfoud. L'expression consacrée est : "Les yeux sont le miroir de l'âme". Le miroir à propos des yeux, le reflet à propos des photographies, ça me plaît.
Cher Garde,
A mon avis, l'ojectivité n'existe pas. Je pense que tout ce que nous pensons, nous faisons, nous disons etc. est orné par notre prope émotion .
La réalité, la vérité nue, l'action digne de foi, peut être comptée, représentée ou pensée la même manière ? Je ne le crois pas. Nous sommes des êtres subjectifs et tout ce qui sort de nous est subjectivité pure. Au moins, cela je crois. P.S. Je prefer mon nom. Celui que vous m'avez restituée et que “m'appartient”. Saludos!
Blechtrommel. Non, elle ne sort pas de chez la comtesse. J'aime bien les contrepèteries, surtout celles qu'on fait (hélas pas plus de deux ou trois fois par an...) du tac au tac, au cours d'une conversation, en reprenant au vol la phrase qui vient d'être dite par quelqu'un... Je suis aussi l'inventeur de la multicontrepèterie.
Quant à McCullin, je le découvre avec beaucoup d'intérêt. La photo que tu m'envoie est magnifique. J'aime d'ailleurs le noir et blanc. J'attends d'avoir bien compris la photo pour en faire.
Improbable en plein Paris mais pour info, il est très fréquent à Barcelone de croiser des chaussures suspendues de la sorte à des câbles électriques, a fortiori dans la vieille ville et pas seulement dans le Raval.
Dans ma rue il y avait deux pairs de baskets à deux endroits différents. On m'a dit que là-bas cela servait pour signaler aux habitués un lieu de deal.
C'est peut-être la même chose à Paris...