Il vient de m'en arriver une belle. Jusqu'ici ma vieille
aboulie m'empêchait d'écrire. Je n'avais pas
besoin de connaître l'accord du participe passé en genre et en ombre, ni
d'acheter du café Grammaire pour me tenir éveillé, ou encore de mettre un
tampon sur les règles d'orthographe. Je n'avais aucun goût pour l'écriture
écrivante, ce qui m'évitait de penser, et c'était bien.
Et puis un jour j'ai eu une
altercation avec une coccinelle. Enfin,
avec la conductrice d'une coccinelle. En
préambule je dois dire que je ne sais pas
conduire les métros, c'est pourquoi je me déplace en autobus. En fait, ce jour
là, j'avais pris mon vélo car je venais de m'acheter un pantalon et je voulais
le tester. Allait-il résister ? Allait-il craquer ? Bref je m'entraînais sur
une aire de stationnement quand une
rainette croisa mon chemin en faisant des
bonds hystériques.
Magnanime, je
fis un écart pour lui laisser le temps de trouver un bocal ou une mare, ou la
plus proche station météo. C'est ainsi que je me retrouvai face à une grosse
dame en train de s'extraire comme elle le pouvait de sa voiture jaune
vermillon. Mon guidon se coinça entre ses seins, ce qui, vous le reconnaîtrez,
est un drôle d'endroit pour une
oaristys. La dame m'injuria, me
traita de mouche à roulettes, de coléoptère adelphe, de
trublion pacifiste et autres
oxymores bien senties. Elle finit par
bafouiller de colère, s'exprimant de manière obscure, vaginale ou clitoridienne
je ne sais trop, maniant le
pataquès comme un personnage de film
contemporain. Je ne répliquai pas car je n'avais pas de mots assez forts pour
l'empêcher de me hurler dans les oreilles les accents de son plaisir et de ses
injures.
Ce traumatisme réveilla en moi le besoin d'évacuer les matières à délire que je
retenais depuis trop longtemps. Je courus m'installer devant une bière et un
ordinateur dans un cybercafé, je demandais à mon voisin une leçon de
piratage et, pour la première fois, je me
mis à bloguer compulsivement. Depuis lors j'écris mes billets sur le blog des
autres, répandant, sans éprouver la moindre difficulté à craquer leurs mots de
passe, le flot incessant de mes envies poétiques dans les méandres de leur
pensée et je signe "Le
blogueur masqué".
Mon succès ne se dément jamais. Les internautes vont de blog en blog à la
recherche de mes incongruités. Quand ils me retrouvent ils me demandent si
j'habite Internet ou le vaste monde en décomposition. Je leur réponds que
j'habite les mots, et ils repartent, heureux, à la conquête de la planète des
songes. C'est ça la
sérendipité.