Nu provençal
Par le gardien le lundi 17 mai 2010, 00:00 - Gardimots - Lien permanent
Témoin, son Nu provençal, cliché né du hasard dans la maison de Gordes où il passe ses vacances pendant l’été 1948. Ronis aperçoit son épouse Marie-Anne de dos, nue, élégamment penchée sur la vasque ronde d’un meuble de toilette. Il prend son Rolleiflex, gravit les deux premières marches de l'escalier du grenier. On l’imagine appuyant sur le déclencheur en se réjouissant de la bonne lumière. Il sait déjà que tout est en place, que la ligne de corps offre une courbure sans défaut et la pénombre une tendre complicité. Il choisit son cadrage et appuie quatre fois - quatre fois seulement - sur le déclencheur.
L'image développée lui confirme qu'il a vu juste. Dans un coin, la chaise ouvre la scène, respectueuse et solide, sans vilaine curiosité. La paillasse, le tenon et son mortier, le broc prolongent la diagonale qui nous mène à la source de lumière. Le volet, tourné vers l’intérieur, ferme l’image. Le miroir couronne le modèle. Le vieux sol met en valeur la nudité.
La rigueur de la composition, le noir et blanc, la géométrie confrontés à la douceur du nu, font de ce cliché un exemple réussi de délicatesse et de pudeur.
Commentaires
C'est dans un espace ascétique, et non aseptisé, que s'éploie la beauté du corps. Fugacité d'un moment de perfection, dont notre regard invité s'emplit et qu'il prolonge dans une contemplation sans fin. Sollicitation de tous les sens, dont l'ouïe, car le silence est traversé de vibrations secrètes, de bruits antérieurs, tels celui du volet (une oeuvre d'art en soi) qu'a ouvert le rayon de l'aube, le clair musical de l'eau invisible, tandis que le dallage inégal crée une autre volupté de contact.
Cette photographie est trés belle,elle se regarde comme un tableau et le commentaire sous la photo et celui de Daniel sont des plaisirs à lire.
Sans grâce, plus philosophique...
Nous sommes "durs" (?) parce que nous préférons l'émotion à la rationalité.
Si les femmes sont des instruments de musique, alors les courbes de "violon" de Mme Ronis me séduisent plus que les lignes de "triangle" de Mme de B.
Et les ouïes de la compagne de Man Ray, Kiki de Montparnasse, telle qu'il la voit en 1924 ?
Mais non, l'émotion est dans ma tête d'artiste. Nous aurions la même discussion avec une photo montrant un tout autre sujet.
La photo est magnifique et le commentaire...aussi!
Merci pour cette belle leçon de prise de vue.
Bien sûr, le nu provençal est une délicate et artistique composition.
Mais la photo de Simone de Beauvoir, femme enfin debout, libérée, offrant le port de sa tête dans le losange de ses bras et la neige de ses courbes est également un état de grâce pensée et féministe!
et que serait l'émotion sans raison et la raison sans la moindre émotion ?
Il y a de l'émotion et de la raison dans les deux clichés mais les proportions y sont inversées.
pas nécessairement, certains symboles sont porteurs d'émotions fortes peut-être seulement pour des femmes dans le cas présent, chacun portant en lui sa palette de nuances, sa subjectivité. Je tendrais à dire que chacune des deux clichés sont incomparables !
Je suis d'accord si l'on emploie le mot "incomparables" dans ses deux acceptions : ces clichés sont extraordinaires et pas comparables entre eux.