Nombreux sont ceux qui vivent dans leur tête.
Prisonniers d'eux-mêmes, anorexiques de l'action, boulimiques du
savoir, amoureux du sens pour le sens, ils se nourrissent de leurs propres
paroles. Quand par hasard elles sont usées, ils boivent un peu d'eau dépolluée,
font leurs besoins - naturels ou littéraires - dans le champ de la raison et
retournent à leur silence. Je ne pense à personne en particulier. A moi, tout
en me disant que je ne suis pas comme ça ; à votre voisine qui apprend par cœur
le nom en clair des additifs alimentaires mais ne connaît pas la soupe au
potimarron, à ceux qui votent en conformité avec l'opinion, à toutes celles et
à tous ceux qui ne croient pas en leur instinct, au diable quand il se fait
ermite, à Mâme Michu quand elle répond à l'insu de son plein gré à un
micro-trottoir, aux pessimistes qui se font enterrer avec leur téléphone
portable, au champion du monde de lancer de fausses nouvelles, aux gourous de
la haute finance et à leurs victimes éclairées, aux adorateurs de
l'impersonnel, aux briseurs de lumière, aux amateurs de pertinence, aux
coiffeurs chauves, aux miraculés du ciel de lit, aux proprets impénitents, aux
buveurs de religion, aux amateurs de chimères délavées ; à vous, si vous
vous reconnaissez dans l'une de ces castes.
La solution ? Être. Mettre son cœur au service de l'esprit, et non le
contraire. Laisser les regrets au vestiaire du temps. Sentir. Rire d'abord,
comprendre ensuite. Avoir des rêves et non des solutions. Se dire que l'humour
est un engrais naturel. S'acheter un dictionnaire de rimes. Aimer Picasso, les
tranches de pain perdu, l'innocence des arbres, l'effet papillon, le courage
des justes, la langue française, l'imprévu. Ne pas comprendre mais sentir.
Vivre sans se demander si c'est normal. Aimer.