Nombreux sont ceux qui vivent dans leur tête.
Prisonniers d'eux-mêmes, anorexiques de l'action, boulimiques du
savoir, amoureux du sens pour le sens, ils se nourrissent de leurs propres
paroles. Quand par hasard elles sont usées, ils boivent un peu d'eau dépolluée,
font leurs besoins - naturels ou littéraires - dans le champ de la raison et
retournent à leur silence. Je ne pense à personne en particulier. A moi, tout
en me disant que je ne suis pas comme ça ; à votre voisine qui apprend par cœur
le nom en clair des additifs alimentaires mais ne connaît pas la soupe au
potimarron, à ceux qui votent en conformité avec l'opinion, à toutes celles et
à tous ceux qui ne croient pas en leur instinct, au diable quand il se fait
ermite, à Mâme Michu quand elle répond à l'insu de son plein gré à un
micro-trottoir, aux pessimistes qui se font enterrer avec leur téléphone
portable, au champion du monde de lancer de fausses nouvelles, aux gourous de
la haute finance et à leurs victimes éclairées, aux adorateurs de
l'impersonnel, aux briseurs de lumière, aux amateurs de pertinence, aux
coiffeurs chauves, aux miraculés du ciel de lit, aux proprets impénitents, aux
buveurs de religion, aux amateurs de chimères délavées ; à vous, si vous
vous reconnaissez dans l'une de ces castes.
La solution ? Être. Mettre son cœur au service de l'esprit, et non le
contraire. Laisser les regrets au vestiaire du temps. Sentir. Rire d'abord,
comprendre ensuite. Avoir des rêves et non des solutions. Se dire que l'humour
est un engrais naturel. S'acheter un dictionnaire de rimes. Aimer Picasso, les
tranches de pain perdu, l'innocence des arbres, l'effet papillon, le courage
des justes, la langue française, l'imprévu. Ne pas comprendre mais sentir.
Vivre sans se demander si c'est normal. Aimer.
Commentaires
Demain la troupe se réunit chez moi. Après une mise en bouche littéraire et textuelle, on dîne. Ce sera spaghettis aux courgettes et saumon, avec un petit vin blanc en guise d'additif. Les rêves, c'est beaucoup de travail et beaucoup d'amitié. Les regrets, ça se rattrape, comme on rattrape une maille filée. Il n'est jamais trop tard pour découvrir le potimarron, comme je dis toujours, tant qu'il y a de la vie il y a de la vie.
Avoir dans la tête, être dans son cœur : il faut un peu des deux (ou beaucoup des deux, c'est la même chose).
Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit.
Aragon/Ferré
Aragon est un grand poète. Merci de le démontrer une fois de plus.
Reste un peu, on va essayer de s'entendre. Il n'est pas question ici de physiologie mais de culture. Bon, pour certains c'est une grossièreté, mais pour toi ? Nous parlons de cœur parce que la langue française véhicule, avec ce mot, des connotations d'une exquise pudeur. Peu importe que ce soit faut. Le décalage est même peut-être nécessaire pour donner à la métaphore toute sa mesure. L'essentiel est invisible pour le cœur, comme a écrit qui tu sais. Il n'empêche que cette invisibilité fait de nous des êtres qui savent habiter leur silence.
Bonsoir Alain
La base de la vie est au plus profond de nos cellules. L’ADN construit, l’ARN communique.
L’ADN est composé d’un mélange de quatre bases azotées, ATGC c’est comme un jeu à quatre cartes, on peut les mélanger n’importe comment, ensuite c’est le jeu de la vie.
Cette vie est-elle soluble dans la pensée ?
Je compare souvent le parcours de notre vie à une sorte de jeu.
Celui qui pénètre dans un labyrinthe, avance, tombe sur une impasse, rebrousse chemin, change de direction, continue, se trompe à nouveau etc. Jusqu'à, peut-être un jour, trouver le centre ou la sortie.
Celui, au contraire, qui se place au dessus du labyrinthe bénéficie d'un seul coup d'oeil du plan d'ensemble, du dessin général et sait instantanément quel est le chemin qui mène à la sortie, ou au centre, suivant ce qu'il cherche à atteindre.
L'hémisphère gauche de notre cerveau, dans sa façon de nous donner à percevoir le monde procéderait comme l'homme qui se trouve à l'intérieur du labyrinthe, en essayant de donner un sens à chacun de ses pas.
L'hémisphère droit, peut nous donner la chance d’apercevoir lorsque l'on se trouve dans des dispositions particulières, en un instant, l'ensemble du labyrinthe contre les murs duquel on a passé sa vie à se cogner la tête !
Trouver le centre ou la sortie du labyrinthe permet certainement d’atteindre une liberté de l’esprit.
Ta solution est belle et mérite méditation, merci de cette réflexion !
Il fait sourire, l’humour du coiffeur chauve qui ne peut se permettre de cheveux blancs...
xuan-lay
[le lien sur le mot labyrinthe est une initiative du gardien]
José. Mais bien sûr j'avais bien saisi l'humour. Je rebondissais purement et simplement pour le plaisir de la discussion.
Ceci dit, je suis allé sur ton site. J'ai même passé mon pointeur sur l'animation de la fille au cerceau, c'est dire ... J'apprécie tes clins d'œil à la albertd.
L'humour c'est le beurre dans les épinards, c'est le bouquet d'herbes de provence dans le pot au feu, c'est le soupçon de canelle dans le riz au lait, c'est la fleur d'oranger dans les gâteaux... Vous dites ? Je suis gourmande ? Ca aussi ça fait partie des belles choses de la vie ;-)
Des personnes sans humour existent-elles vraiment ? Tout passe tellement mieux avec le sourire. Je m'entends très mal avec les gens qui se prennent trop au sérieux, ils empoisonnent mon espace et sont pour moi comme un plat de régime sans sel, sans gras, sans sucre, sans sauce, sans herbes. Sachons rire de tout et surtout de nous.
Ecrire, juste pour être
Laisser se déposer l'enchevêtrement de mes pensées
Tordre le cou de certaines d'entre elles
les battre et les combattre
Caresser certaines autres, leur souffler des mots d'amour, les encourager
Les prendre une à une
Les déméler
Les ajuster
Les choisir
Puis sortir...et respirer !
Ah j'oubliai, j'ai apprécié ton texte et ne me reconnais dans aucune des descriptions ;-) J'ai gagné quoi ? ;-))
OK je file ;-) Et n'oublies pas, cher Garde, que le sourire ne se voit pas dans les écrits, d'où les smileys que je collent un peu partout comme des sourires que je t'envoies.
Aimer
Etre
Rire
Avoir
S'aérer? Pour ça, moi, j'ai fait un tour en Bretagne.
Oh, lala, les donneurs de leçon de vie, les penseurs pour nous, les gens qui aiment se retrouver dans leurs certitudes d'être tellement mieux que les autres... Les faiseurs de langage, les cuisineurs de philo...
Zut j'attendais un mot, pour rincer ma tête, moi qui écris tous les jours (le moi est aussi haïssable que l'impersonnel) sur les autres, pour les autres.
Je vais rester là-haut prendre l'air, près du clocher de l'église, sous les fientes des pigeons...
Sais-tu que j'adore les piments, Garde ? Mes origines hispaniques mêmes lointaines m'ont donné ce goût pour les cuisines très relevées ;-). D'ailleurs je ne fais pas une ratatouille sans rajouter un petit morceau de piment rouge. Et puis une vie sans piment n'est pas une vie.
Merci pour le cadeau
Christine, je l'ai deviné aux senteurs qui se dégageaient de ton texte.
Je relis ce poème avec, en tête, la musique de Léo Ferré. Merci.
Difficile de se glisser après un si beau texte...
Je songeais à l'expression très usitée de nos jours: "donner du sens","faire sens".Une manière d'avouer que nos actes n'en possèdent guère ou pas du tout, et donc de nous rassurer.
Que fait le randonneur sous l'étoile que lui masque soudain le brouillard? Il cherche le sens,la direction.
S'il s'égare vraiment, il s'interroge sur la signification de sa marche. Le voici,à double titre,en quête de sens.Bientôt,le découragement le saisit; parions qu'il rebroussera chemin, de crainte de plonger dans l'abîme de ses pensées.
Cette fièvre du sens, j'ai cru le deviner dans l'article de notre Gardien,nous pousse à comprendre avant d'aimer...Or il y avait beaucoup à voir, en cette nuit sans étoiles: le flottement de vapeurs hésitant à s'incarner dans des formes cohérentes,la lumière même émanant de ces formes mouvantes, qui sont le pain de poésie, cette propension à la métamorphose qu'a notre monde, lorsque l'homme fait preuve d'assez de "bon sens" pour ne pas lui assigner une permanence qu'il estime rationnelle, alors même que le souffle de la nuit est là pour l'appeler vers un devenir qui le dépasse.
La quête de sens est évidemment importante, à condition de ne pas oublier le sens subtil, celui qui se dit à qui est sensible aux images derrière les images.
La vie n'est pas soluble DANS la pensée...
Pour nous autres humains (?) la vie EST pensée...
Vivre EST penser. Tu connais quelqu'un qui ne pense pas?
On dit que même certains animaux pensent.
Pardon pour le retard.
Il y a des gens pour qui la pensée tient lieu de vie. C'est ce que j'ai voulu dire. Je sais aussi qu'il ne peuvent pas faire autrement.
+1 José.
[Traduction : "Je suis d'accord avec José"]
José, tu es très cartésien, n'est-ce pas ? Descartes comparait l'homme à une machine pensante ... En fait je suis d'accord avec toi si, de ton côté, tu admets qu'on ne peut pas réduire l'homme à sa pensée.
Ce poème trouve ce soir sa place aussi bien chez vous que chez moi:
L'arbre qui pense
les pieds dans sa grille
à quoi pense-t-il
oh ça oh mais ça oh mais ça à quoi pense-t-il
Le chien qui pense
la patte en l'air
que pense-t-il
oh ça oh mais ça oh mais ça à quoi pense-t-il
Le pavé qui pense
le ventre poli de pas
que pense-t-il
oh ça oh mais ça oh mais ça à quoi pense-t-il
Ciel toits et nuages
voyez-moi
là tout en bas
qui marche
et qui pense à l'arbre qui pense
au chien au pavé
oh ça oh mais à quoi pensent-il donc à quoi pensent-il donc
Raymond Queneau
(Le chien à la mandoline, 1965)
Dans le torrent des maux nourris de la pensée,
J'ai vu s'envoler la fulgurance, au-dessus de ma tête,
Et n'ai plus ressenti au retour de ma quête,
De sens à l'idéal, qui nous tient accablés.
L'air était fade et la raison faisait grincer ses chaînes.
Un désert se creusait sous le pas des marcheurs.
Je les voyais captifs,harassés mais diserts,
Racontant l'infortune, l'aléa et leur peur:
Peur de la sensation qu'il eût fallu saisir
A mains pleines, oser aller la prendre
Au creux tiède des nids, car le plaisir
Rend l'écorce de chair si tendre...
Enfin s'abandonner, fût-ce à l'ire de rage...
Cette ombre qui fuit,
N'est-ce pas encore la vie?
Qu'il est bon,même aux larmes, aux cris,
Comme au reliquaire des pensées de naufrage,
De voir parfois le corps d'amour transi
Savoir dresser barrage.
Laisse au penseur nommer la scène qui se joue dans le monde!
Qu'importe, là-bas,s'il aperçoit déjà la voie des catacombes,
Tu sais,celle que déchiffrent les "métaphilosophes",impatients
De trouver du sens pour mieux théoriser:
Surtout , n'interroge, ni ne sonde ce que tu pressens,
Mais prends,étreins,reviens, fais-moi rire et danser !
Quand le dictionnaire nu a mûri la vendange,
C'est qu'on peut le fermer pour voir voler des anges...
Belle envolée, Daniel, et qui va, à l'évidence, dans le sens de mon billet. Quand je l'ai affiché je ne pensais pas recueillir autant de commentaires aussi intensément pensés.
En fait la première solution à ce problème d'immobilisme et de masturbation intellectuelle serait aussi une solution écologique :
Arrêter de regarder ma télé !
"L'essentiel est invisible pour le coeur..."?(commentaire 8)
C'est une boutade?
St Exupéry n'a pas écrit celà en tout cas.
Non, j'ai dérapé ce 5 mars 2007, je ne sais pourquoi. Il a écrit, bien sûr : "L'essentiel est invisible pour les yeux". Après vérification sur le net, ça donne même:
"Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux. ..."
Garde-mots en verve sur ce sujet. Et salut à Dandylan pour sa pertinence.
Alors, ça pourrait s'appeler : la vie, la pensée et le coeur. Problème pour distribuer les rôles. La pensée, c'est le plus facile. Des mots, des mots et des images. Enfin tout ça givré comme un citron.
Le coeur, déjà, ça se complique. Je suis d'accord pour dire qu'on en fait beaucoup trop avec l'émotion, les sentiments, l'affection. Quand c'est pas poisseux, ça tourne quand même facilement au pathos.
Quant à la vie, le mieux, c'est d'essayer de se mettre à son diapason, à son école, à son écoute. Mais sans a priori.
Le mieux est de travailler les deux tout en donnant la priorité à la vie.
Je remarque que les gens dans les stations de bus ont le sommeil lourd
Qu’ils y dorment de manière particulièrement obtuse et vide de sens, bien que certains aient l’air fringant et plein d'entrain
Peut-être est-ce la vie, ou peut-être la profondeur est-elle au-dessus des forces humaines
Car nous sommes au niveau des tombes
Et même plus obscurément enfouie – au niveau d'une terre soulagé et silencieuse
pourtant on y vit, on y creuse, il y a de la lumière
Sauf que les gens dorment et nous emporte de leur lourd sommeil, ils semblent vivants à première vue
bien que leur sensibilité pour les murs ne nous terrifie.
Ils n'ont en tous cas aucune manœuvre sur leur désenchantement et la perte de contrôle semble les rendre plus sujet à de soporifiques pouvoirs
gisant tout droit d'une station de gaz-de-foi
au cœur d'un ciel poitrinaire.