Négritude
Par le gardien le lundi 21 avril 2008, 00:00 - Singumots - Lien permanent
En hommage à Aimé Césaire, voici l'un de ses plus beaux poèmes
Calendrier lagunaire
J’habite une blessure sacrée
j’habite des ancêtres imaginaires
j’habite un vouloir obscur
j’habite un long silence
j’habite une soif irrémédiable
j’habite un voyage de mille ans
j’habite une guerre de trois cent ans
j’habite un culte désaffecté
entre bulbe et caïeu j’habite l’espace inexploité
j’habite du basalte non une coulée
mais de la lave le mascaret
qui remonte la calleuse à toute allure
et brûle toutes les mosquées
je m’accomode de mon mieux de cet avatar
d’une version du paradis absurdement ratée
-c’est bien pire qu’un enfer-
j’habite de temps en temps une de mes plaies
chaque minute je change d’appartement
et toute paix m’effraie
tourbillon de feu
ascidie comme nulle autre pour poussières
de mondes égarés
ayant craché volcan mes entrailles d’eau vive
je reste avec mes pains de mots et mes minerais secrets
j’habite donc une vaste pensée
mais le plus souvent je préfère me confiner
dans la plus petite de mes idées
ou bien j’habite une formule magique
les seuls premiers mots
tout le reste étant oublié
j’habite l’embâcle
j’habite la débâcle
j’habite le pan d’un grand désastre
j’habite souvent le pis le plus sec
du piton le plus efflanqué-la louve de ces nuages-
j’habite l’auréole des cétacés
j’habite un troupeau de chèvres tirant sur la tétine
de l’arganier le plus désolé
à vrai dire je ne sais plus mon adresse exacte
bathyale ou abyssale
j’habite le trou des poulpes
je me bats avec un poulpe pour un trou de poulpe
frères n’insistez pas
vrac de varech
m’accrochant en cuscute
ou me déployant en porona
c’est tout un
et que le flot roule
et que ventouse le soleil
et que flagelle le vent
ronde bosse de mon néant
la pression atmosphérique ou plutôt l’historique
agrandit démesurément mes maux
même si elle rend somptueux certains de mes mots
[Voici des liens pour les mots rares : caïeu, mascaret, ascidie, embâcle, arganier, bathyale, abyssale, cuscute,
porona, ronde bosse. NB : vous pouvez
consulter tous ces liens sans faire des allers et retours incessants entre le
Garde-mots et les divers sites en utilisant le navigateur Firefox avec son
extension Cooliris Previews.]
Commentaires
Merci pour ce très fort poème de Césaire. J'avoue que je me pose la question de ce "s" à la fin de "ayant crachés". Qui peut m'éclairer?
J'ai enlevé le "s". J'ai fait un copier-coller de ce poème sur Internet et il s'agit à l'évidence d'une faute (que je n'avais pas vue). Si quelqu'un a un exemplaire imprimé, il me serait agréable de savoir si le poème tel qu'il est ci-dessus est conforme à ce qu'à écrit Aimé Césaire. Merci d'avance.
Merci pour Cooliris... mais surtout pour le poème, ça va de soi !
Certains visiteurs se demandent peut-être pourquoi j'ai glissé de l'informatique à la fin d'un billet sur le grand poète Aimé Césaire. Il n'était pas question de mettre des liens au milieu du poème, ce qui aurait entravé la lecture. En les mettant à la fin et en indiquant Cooliris à celles et ceux qui ne le connaissent pas je donne la possibilité de découvrir des mots rares tout en gardant le poème sous les yeux.
Oui d'ailleurs c'est bien pratique, merci ! Je me le retrouve dans Wikipédia ;-)