Suivez-moi-jeune-homme
Par le gardien le vendredi 4 septembre 2009, 00:00 - Singumots - Lien permanent
Sur le plan linguistique, suivez-moi-jeune-homme appartient à une série de mots composés contenant un verbe conjugué. Ils ont une valeur lexicale (une signification propre) et comportent un ou plusieurs traits d’union selon les cas. Certains sont courants, comme aide-mémoire, sèche-cheveux, laisser-aller, d'autres plus rares.
Elle avait un charme hors du temps. Oubliant toute règle de prudence, Pedro lui emboîta le pas en se disant qu’il aurait bien voulu jouer à trousse-jupon avec elle. Il était fasciné par son suivez-moi-jeune-homme, un entrecroisement de rubans multicolores qui pendait à l’arrière de son chapeau et caressait délicatement son cou. Cet accessoire laissait dans son sillage la note ambrée d'un parfum de luxe, une senteur à vous emporter sur la barque du désir, à vous faire pousser les oreilles en pointe, à vous inspirer des nuits en trompe-l’œil. On n’en avait pas vu à Paris depuis l’époque du président Félix Faure. Elle l'avait sûrement trouvé dans un décrochez-moi-ça, mais c’était tout de même mieux qu’un passe-montagne, surtout qu’on était dans la plus belle rue du monde, la rue d’Aboukir.
Sa robe vert Nil à fleurs de lotus stylisées était à la fois une œuvre d'art et un pousse-au-crime. Ou bien s’agissait-il d’un cache-misère pour laideron sur le retour ? Cette femme était peut-être une tue-l’amour, une rabat-joie, une gratte-papier aux traits creux et blêmes. Plutôt que d'accélérer le pas, Pedro préféra laisser libre cours à son imagination. Il irait voir un peu plus tard, quand il arriverait à détacher son regard de la nuque si délicatement ornée. Pour l’instant il la suivait, ce qui n'était d'ailleurs pas raisonnable.
Il se demanda s'il n'allait pas tenter sa chance immédiatement. Certes Pedro était du genre à se mettre au garde-à-vous devant les belles, à leur jouer son numéro de revenez-y sans avoir peur du qu’en-dira-t-on, mais, pour une fois, ce m’as-tu-vu se sentait impressionné, presque timide, en tout cas piqué au vif. Allait-elle dire oui au premier effet de moustache ? Ou bien le traiter de fesse-mathieu, de pue-la-sueur, de pousse-cailloux ? En l'examinant d’un peu plus près, il aperçut son baise-en-ville de cuir fauve, autre accessoire passé de mode, mais qui donnait, sans frais, à sa silhouette, un délicieux je-ne-sais-quoi et semblait annoncer une diva.
Il commençait à faire des projets pour deux. Il allait bientôt être à la tête d’une somme assez rondelette et se racontait comment il aimerait la dépenser. Dès qu’il l’aurait en poche il emmènerait sa nouvelle conquête dîner chez Lasserre. Ils commanderaient des plats sophistiqués, histoire de s’essayer à la grande cuisine. Certes il était amateur de légumes à la croque-au-sel, de sot-l’y-laisse, de mange-tout, de confiture de gratte-cul, mais, pour une fois, un vol-au-vent financière suivi d’un blanc-manger et d’un pousse-café, feraient patte-de-velours dans son estomac. Ils boiraient à tire-larigot du champagne hors d’âge. Le garçon leur apporterait des rince-doigts. Il veillerait, comme il se doit, à ne pas goûter l’eau citronnée.
Un cri soudain mit le désordre dans ses pensées. Sauve-qui-peut ! Une vieille qui en était sans doute restée à l’époque des protège-cahiers, des tourne-disques et des abat-jours s’agitait comme une boit-sans-soif privée de son tire-bouchon. Elle sortait de chez elle en hurlant qu’on venait de lui voler son prie-Dieu. En se penchant à la fenêtre elle avait aperçu le monte-en-l’air s’enfuyant avec le précieux meuble à l’arrière de sa moto, mais elle ne pouvait en dire plus.
Pedro se mit à penser à toute vitesse. Allait-il renoncer à suivre la jeune femme, filer sans demander son reste avec son larcin, ou bien l’abandonner sur place et installer la belle sur sa moto ? Car ce risque-tout n'était autre que le voleur. Il avait rangé la moto sous un porche, à l'abri des regards, dès qu'il avait aperçu la dame au suivez-moi-jeune-homme. Il se décida à l’aborder car une idée venait de naître. Il ne renoncerait ni à sa proie ni à son butin. Dès qu’il aurait fait sa connaissance, il irait avec elle chez un antiquaire du quartier pour se débarrasser du prie-Dieu. Cependant, après l’avoir dépassée et s’être retourné dans sa direction, il dut retenir la phrase passe-partout qu’il avait préparée. De face elle était plutôt belle mais surtout très fardée, provocante et même franchement tape-à-l’œil. Il comprit qu’il avait affaire à une marie-couche-toi-là en tenue de travail. Finis les rêves d’évasion dans les hautes sphères de la gastronomie. La vue des rubans l’excitait tellement qu’il se précipita vers elle et lui adressa la parole à brûle-pourpoint. Il lui demanda son tarif, ce qu’en bonne professionnelle, elle lui donna sans rechigner. Il la mena sous le porche, avec l’intention de faire d’une pierre deux coups : des galanteries tarifées doublées d'une surveillance en règle de sa moto. On ne savait jamais. Impatient comme il l’était, il ne l’entendit pas lui réclamer un paiement anticipé. Ce que n’avait pas non plus prévu ce traîne-patins, c’était que la prostituée enlèverait son chapeau à cause du mur sur lequel il la plaquait et qu'elle l'accrocherait au pommeau d'une porte. Alors il perdit l’essentiel de sa virilité et, pour se donner bonne contenance, se sentit obligé de se vanter de son exploit. On n’a pas fait mieux comme préliminaires depuis Le Corbeau et le Renard. Il se trouva cependant que le stratagème réussit. La belle se sentit toute attendrie d’être tombée sur un malfrat plutôt que sur un crève-la-faim de l'amour. Elle accepta de bonne grâce le jeu bohême et le couple éphémère put enfin se former.
C’est à ce moment précis que la vieille dame, toujours à la recherche de son bien, pénétra sous le porche. Elle eut la double surprise de voir l’antiquité de velours rouge sur la moto et en même temps, dans le rétroviseur, des inconnus engagés dans une action que la morale ne tolère qu’à l’abri des regards indiscrets. Elle courut vers le meuble qu’elle croyait avoir perdu, le détacha d’un geste vif en s’assurant que les autres ne l’avaient pas remarquée, puis le posa à terre. Elle comprit qu’elle avait présumé de ses forces et qu’elle ne pourrait rentrer immédiatement chez elle avec son bien. Il lui fallait d'abord récupérer. Alors elle s’agenouilla au milieu de la cour sur son cher prie-Dieu. Elle se mit à égrener son chapelet en remerciant saint Antoine de sa généreuse participation, et en lui demandant d’intercéder auprès de qui-vous-savez pour que la fornication cessât immédiatement. C’est d’ailleurs ce qui arriva car l’attention de Pedro avait été détournée de sa besogne par la prière à haute voix. Un instant plus tard il sollicitait rageusement le démarreur de sa moto et s’enfuyait en pétaradant.
C’était maintenant au tour de la jeune femme de crier mais Pedro ne saura jamais si c'était parce qu’elle n’avait pas été payée de ses faveurs ou parce qu’il emportait sur son porte-bagages le chapeau à rubans.
Commentaires
Ceci n'est pas une histoire à la mords-moi-le-noeud! Qui en est l'auteur?
Je l'ai écrite spécialement pour ce billet.
Comme vous voyez, je fais mes griffes.
Des griffes qui sont autant de pattes-de-velours. C'est malin, je vois des mots composés partout maintenant, mais l'essentiel c'est de savoir-les-agencer comme tu l'as fait. Bravo pour l'histoire et content que mon Suivez-moi-jeune-homme soit inspiratif (et hop, un néologisme).
(Je regarde dan mon index si j'ai d'autres objets qui sonnent à proposer)
Clap, clap, clap !
Bravo! Jolie équipée érotique qui tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin! Ce fut un plaisir de vous lire quand vous pincez la lyre! Vous faites le grand écart. Votre amour des mots et votre humour affleure aussi dans vos ouvrages "médicaux". Donc, je ne suis pas surprise de cette nouvelle orientation. El duende
Vous êtes tres ingénieux!!!! Je me declare fan (sans “pre”).
Quelque fois c'est très dur pour moi de comprendre bien. Les mots composes, même s´il sont difficiles, ils sont amusants la plupart du temps.
Dans l'espagnol nous avons certains que sont amusant aussi. Voici l'un:
“Mátalas callando” (tue-les pendant se taire?) Nom donné a quelqu'un qui semble réservé, timide mais, meme s´il a l'air de juste, il est capable de faire “tout”.
Je vous remercie que vous, le gardien des mots, me permets de participer dans votre blog formidable, même si mon français est si mauvais et je suis une “dégát-mots”.
Quand j'écrivais cette nouvelle, je pensais à vous. Je sais que vous comprenez bien le français mais je me demandais si ces mots composés n'étaient pas trop difficiles. N'hésitez pas à poser des questions si nécessaire.
Merci! Merci beaucoup!
C'est un festival de traits d'union et un piège à pluriels de mots composés !
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Une musique de piano-bar sur un pick-up et un parfum d'oreille-de-souris auraient donné une ambiance sonore et olfactive à cette histoire abracadrante. Mais comme dit le proverbe, il y une anguille dans l'abri-sous-roche...
Ne soyons pas plus jeunes-Turcs que le roi...
Je viens de découvrir votre blog par un jeu de recherche sur les maux, les mots, les contrepèteries et les "sot l'y laisse" , les guilimaux : bravo ! Respect quel bonheur et quel découverte
Merci et bienvenue. Avez-vous lu le billet sur ma découverte, la Multicontrepèterie ?
j'ai vraiment adoré!
Beaucoup d'imagination et une histoire assez entrainante
(meme si j'ai eu du mal a comprendre toutes les expressions d'ou le "assez")
Mis a part ce detail, chapeau bas!!!
Merci. Par votre remarque "assez" vous signalez la limite du genre que je me suis imposé. Les mots ne sont pas de moi. Je n'ai fait que retrouver des "mots composés contenant un verbe conjugué" comme le dit le billet. Je les ai ensuite mis en,semble de manière à former une nouvelle. J'aurai pu donner les définitions, mais je ne suis pas sûr que c'eut été raisonnable.
moi je doit le lire pour travailler vou voulait bien m'aider sur les perso ou se kil se passe den le boukin?
Il y a neuf fautes de français dans votre phrase, sans compter l'absence de ponctuation. Revenez quand vous aurez appris l'orthographe et la grammaire. Ici c'est un blog qui défend la langue française, pas un blog qui l'abime.