Pinacothèque
Par le gardien le vendredi 11 décembre 2009, 00:00 - Singumots - Lien permanent
Raphaël. La Transfiguration.
Peinture a tempera sur bois (1518- 1520)
La Transfiguration est un événement biblique majeur qui révèle aux yeux de tous la divinité du Christ (Matthieu 17 :1-9 ; Marc 9 : 2-9 ; Luc 9 :28-36). Jésus, nimbé de lumière, apparaît à ses disciples. Il s’entretient avec les deux prophètes les plus importants, Moïse à notre gauche (on distingue les tables de la loi) et Élie, présenté à l’époque comme le futur messie. Jésus annonce qu'il va mourir puis ressusciter, et que, pour cette raison, il doit se rendre à Jérusalem. Les nuages forment un cercle et la lumière une mandorle autour de Jésus, lequel, le visage brillant comme le soleil et les vêtements resplendissants de blancheur, est en état de lévitation et dans une attitude légèrement déhanchée, dite contrapposto ou hanchement. Il se montre en Gloire avant d’entrer dans la Passion.
La scène se situe pendant la fête juive des Cabanes (Soukot), ou fête des Tentes, qui commémore l’attention que Dieu a porté aux hébreux dans le désert. Selon la tradition, nous sommes près du lac de Tibériade, sur le mont Thabor – symbolisé par un rocher sur lequel Pierre, Jean et Jacques, terrassés et éblouis par la métamorphose du Seigneur, ont du mal à comprendre ce qui se passe, d’autant plus que la voix de Dieu retentit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » À gauche, deux êtres en adoration, dont on peut se demander à quel titre ils figurent dans cette scène, prient et implorent. Pour certains historiens de l'art il s’agit de saint Félix et de saint Agapit dont la fête a lieu le 6 août, le même jour que la Transfiguration. Pour d’autres, il s’agit de saint Julien et saint Laurent, les patrons du père et de l’oncle du commanditaire, Julien et Laurent de Médicis. On en fait également saint Just et saint Pasteur, dont les reliques sont conservées dans la cathédrale de Narbonne.
La terre est un peu dans l’ombre. Elle est éclairée depuis l’angle inférieur gauche du tableau, en tout cas, elle ne reçoit pas la lumière céleste. Les neuf autres apôtres semblent impuissants devant le spectacle d’un garçon lunatique, c’est-à-dire possédé par le démon, ou épileptique, ce qui est la même chose dans la conception de l’époque. Ses yeux sont révulsés et il montre le ciel. Il est soutenu par son père. Sa famille, venue du village situé à droite du rocher, cherche de l’aide auprès des apôtres mais ils sont eux-mêmes dans la perplexité. Leurs attitudes sont différentes et pourtant ils semblent unis dans le saisissement, la compassion, la dignité. Deux d’entre eux, en rouge, montrent le Christ, sans oser le regarder, comme pour indiquer qu’il a seul le pouvoir de guérir cet enfant. L’apôtre en bleu (sans doute saint Matthieu) cherche secours dans un livre mais il n’y trouve rien. On pourrait ajouter « et pour cause… », puisque nous sommes devant un anachronisme. Le livre, à l’époque du Christ, se présentait sous la forme d’un parchemin et non d’un livre relié, ou codex. Les apôtres sont séparés du garçon et de sa famille par un espace orienté obliquement de bas en haut, qui souligne visuellement leur incapacité à porter secours au lunatique et incite le regard à se glisser vers la partie supérieure de l’œuvre.
Lumière éclatante en haut, clair-obscur en bas à la manière du Caravage : le tableau ne fonctionne bien qu’avec les deux scènes ensemble, les deux centres d’intérêt que constituent Jésus et le garçon. Divinité en haut comme il se doit, démonologie en bas, et d’ailleurs les mains sont tendues vers l’un ou vers l’autre des protagonistes. Si les deux parties avaient été peintes sur des toiles distinctes nous serions pour chacune dans l’anecdote édifiante plutôt que devant des tableaux de maître. Raphaël montre deux aspects de la même scène, l’une divine l’autre humaine, l’une transcendante l’autre immanente, et son génie parvient à nous en faire accepter l’unité. Cette unité est d’autant plus étonnante qu’elle est purement picturale et non pas conforme au texte des Évangiles, pour lesquels Jésus rencontre le lunatique en revenant du mont Thabor. Le tableau fonctionne mieux pour nous que pour les contemporains de Raphaël, car nous sommes accoutumés au virtuel, aux caprices de l’imaginaire, à la simultanéité. C’est le contenu implicite du message qui donne à la composition sa légitimité picturale.
La femme à genoux supplie les apôtres d’agir en faveur du malade. C’est peut-être sa mère, comme le suggère la draperie bleue assortie au vêtement du jeune homme. En tout cas l’équilibre du tableau repose sur sa présence : elle organise l’espace (les apôtres sont à sa gauche et la famille à sa droite) et ses épaules forment comme un soutien pour le rocher. Sa verticalité contraste avec la circularité des nuages et celle du bas du tableau, moins évidente mais qui apparaît lorsqu’on cache la femme à genoux derrière un pouce tendu tout en fermant un œil. C’est grâce à elle, et à l’asymétrie qu’elle nous impose, que le tableau fonctionne. Il part d’une scène qui nous est relativement familière car nous pourrions être amenés à la vivre, celle de la maladie d'un proche, à la scène supérieure que nous ne devrions pas être en mesure de contempler puisque nous ne sommes que des humains. Chacune des scènes s’inscrit dans un cercle et leur réunion forme une lemniscate, symbole de l’infini, preuve supplémentaire, s’il en fallait une, de la dimension hautement spirituelle du tableau.
Matthieu 17 17.1 - Six jours après, Jésus prit avec
lui Pierre, Jacques, et Jean, son frère, et il les conduisit à l'écart sur une
haute montagne.
17.2 - Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. 17.3 - Et voici, Moïse et Élie leur apparurent, s'entretenant avec lui. 17.4 - Pierre, prenant la parole, dit à Jésus: Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; si tu le veux, je dresserai ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. 17.5 - Comme il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit. Et voici, une voix fit entendre de la nuée ces paroles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection : écoutez-le ! 17.6 - Lorsqu'ils entendirent cette voix, les disciples tombèrent sur leur face, et furent saisis d'une grande frayeur. 17.7 - Mais Jésus, s'approchant, les toucha, et dit : Levez-vous, n'ayez pas peur ! 17.8 - Ils levèrent les yeux, et ne virent que Jésus seul. 17.9 - Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : Ne parlez à personne de cette vision, jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit ressuscité des morts. 17.10 - Les disciples lui firent cette question : Pourquoi donc les scribes disent-ils qu'Élie doit venir premièrement ? 17.11 - Il répondit : Il est vrai qu'Élie doit venir, et rétablir toutes choses. 17.12 - Mais je vous dis qu'Élie est déjà venu, qu'ils ne l'ont pas reconnu, et qu'ils l'ont traité comme ils ont voulu. De même le Fils de l'homme souffrira de leur part. 17.13 - Les disciples comprirent alors qu'il leur parlait de Jean Baptiste. 17.14 - Lorsqu'ils furent arrivés près de la foule, un homme vint se jeter à genoux devant Jésus, et dit : 17.15 - Seigneur, aie pitié de mon fils, qui est lunatique, et qui souffre cruellement; il tombe souvent dans le feu, et souvent dans l'eau. 17.16 - Je l'ai amené à tes disciples, et ils n'ont pas pu le guérir. 17.17 - Race incrédule et perverse, répondit Jésus, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi ici. 17.18 - Jésus parla sévèrement au démon, qui sortit de lui, et l'enfant fut guéri à l'heure même. 17.19 - Alors les disciples s'approchèrent de Jésus, et lui dirent en particulier : Pourquoi n'avons-nous pu chasser ce démon ? 17.20 - C'est à cause de votre incrédulité, leur dit Jésus. Je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d'ici là, et elle se transporterait ; rien ne vous serait impossible. 17.21 - Mais cette sorte de démon ne sort que par la prière et par le jeûne. |
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Commentaires
Merci pour cette belle étude du tableau!Et pour les versets de Mathieu.
Pinacothèque, mot français qui désigne une galerie de peinture en Allemagne et en Italie. Cette appellation est t-elle uniquement employée pour désigner les musées de ces deux pays?
En théorie oui, mais en pratique les mots évoluent librement en fonction de l'usage qu'on en fait. Ainsi il existe une très réputée Pinacothèque de Paris.
Merci d'avoir envoyé quelqu'un à la signature de mon Almanach 2010. Tu vas bientôt recevoir ton exemplaire dédicacé.
Merci à toi garde, j'ai hâte de l'avoir entre mes mains et aussi être propriétaire d'une "pinacothèque des mots" c'est rare non?
Formidable votre billet cher Garde-mots, merci beaucoup.
La Transfiguration de Raphaël est une peinture d'une incroyable beauté et d'équilibre.
Le surnaturel devient naturel à travers une mère qui demande la guérison de sa fille.
Comme vous dites, l'équilibre du tableau repose sur sa présence, de toutes les manières possibles.
J'espère aller à la Pinacothèque du Vatican quelque jour de le regarder “en direct”.
Le Vatican est un lieu tout à fait exceptionnel sur le plan artistique. Il y a d'abord la Pieta de Michel-Ange dans l'église Saint-Pierre. Pour moi c'est un des sommets de l'art. Il y a la Chapelle Sixtine et son plafond peint par Michel-Ange également, un escalier à double hélice, le palais pontifical, la Pinacothèque, sans parler de toutes les merveilles que l'on trouve à tous les coins de rue dans la ville de Rome elle-même.
Évidemment, rien ici... même erreur d'adresse mail, je pense.
Il y a quelques temps je me suis posée la question de la signification de ce mot en voyant régulièrement des publicités pour la pinacothèque de paris... Et j'avoue avoir été étonnée de découvrir un musée uniquement de tableaux.
Merci pour les autres termes cousins !
cimaise ne désigne pas tout un mur mais seulement la corniche où accrocher les tableaux
quand au texte de Mathieu il pourrait servir de texte fondateur du camping sauvage "il est bon que nous soyons ici ; si tu le veux, je dresserai ici trois tentes"
Le terme cimaise a les deux sens.