La Transfiguration est la dernière œuvre de Raffaello Sanzio (1483-1520), dit Raphaël, peintre italien de génie, né à Urbino. Ce tableau lui fut commandé par le cardinal Jules de Médicis pour la cathédrale de Narbonne dont il était l’évêque, mais le peintre disparut avant de l’avoir terminé. Il mourut d’un accès de paludisme le vendredi saint 6 avril 1520, le jour même de son anniversaire, qui avait également eu lieu un vendredi saint. L’œuvre était presque achevée et fut exposée près de son cercueil. C‘est un peintre de son atelier (probablement Giulio Romano) qui se chargea de la terminer. Jules de Médicis la donna, lorsqu'il fut élu pape en 1523 sous le nom de Clément VII,  à l'église San Pietro in Montorio de Rome. Elle fut emportée à Paris par Bonaparte en 1797 et restituée en 1816 à la chute de l’Empire. C'est alors qu'elle entra dans la Pinacothèque du Vatican.

La Transfiguration est un événement biblique majeur qui révèle aux yeux de tous la divinité du Christ (Matthieu 17 :1-9 ; Marc 9 : 2-9 ; Luc 9 :28-36). Jésus, nimbé de lumière, apparaît à ses disciples. Il s’entretient avec les deux prophètes les plus importants, Moïse à notre gauche (on distingue les tables de la loi) et Élie, présenté à l’époque comme le futur messie. Jésus annonce qu'il va mourir puis ressusciter, et que, pour cette raison, il doit se rendre à Jérusalem. Les nuages forment un cercle et la lumière une mandorle autour de Jésus, lequel, le visage brillant comme le soleil et les vêtements resplendissants de blancheur, est en état de lévitation et dans une attitude légèrement déhanchée, dite contrapposto ou hanchement. Il se montre en Gloire avant d’entrer dans la Passion.

La scène se situe pendant la fête juive des Cabanes (Soukot), ou fête des Tentes, qui commémore l’attention que Dieu a porté aux hébreux dans le désert. Selon la tradition, nous sommes près du lac de Tibériade, sur le mont Thabor – symbolisé par un rocher sur lequel Pierre, Jean et Jacques, terrassés et éblouis par la métamorphose du Seigneur, ont du mal à comprendre ce qui se passe, d’autant plus que la voix de Dieu retentit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » À gauche, deux êtres en adoration, dont on peut se demander à quel titre ils figurent dans cette scène, prient et implorent. Pour certains historiens de l'art il s’agit de saint Félix et de saint Agapit dont la fête a lieu le 6 août, le même jour que la Transfiguration. Pour d’autres, il s’agit de saint Julien et saint Laurent, les patrons du père et de l’oncle du commanditaire, Julien et Laurent de Médicis. On en fait également saint Just et saint Pasteur, dont les reliques sont conservées dans la cathédrale de Narbonne.

La terre est un peu dans l’ombre. Elle est éclairée depuis l’angle inférieur gauche du tableau, en tout cas, elle ne reçoit pas la lumière céleste. Les neuf autres apôtres semblent impuissants devant le spectacle d’un garçon lunatique, c’est-à-dire possédé par le démon, ou épileptique, ce qui est la même chose dans la conception de l’époque. Ses yeux sont révulsés et il montre le ciel. Il est soutenu par son père. Sa famille, venue du village situé à droite du rocher, cherche de l’aide auprès des apôtres mais ils sont eux-mêmes dans la perplexité. Leurs attitudes sont différentes et pourtant ils semblent unis dans le saisissement, la compassion, la dignité. Deux d’entre eux, en rouge, montrent le Christ, sans oser  le regarder, comme pour indiquer qu’il a seul le pouvoir de guérir cet enfant. L’apôtre en bleu (sans doute saint Matthieu) cherche  secours dans un livre mais il n’y trouve rien. On pourrait ajouter « et pour cause… », puisque nous sommes devant un anachronisme. Le livre, à l’époque du Christ, se présentait sous la forme d’un parchemin et non d’un livre relié, ou codex. Les apôtres sont séparés du garçon et de sa famille par un espace orienté obliquement de bas en haut, qui souligne visuellement leur incapacité à porter secours au lunatique et incite le regard à se glisser vers la partie supérieure de l’œuvre.

Lumière éclatante en haut, clair-obscur en bas à la manière du Caravage : le tableau ne fonctionne bien qu’avec les deux scènes ensemble, les deux centres d’intérêt que constituent Jésus et le garçon. Divinité en haut comme il se doit, démonologie en bas, et d’ailleurs les mains sont tendues vers l’un ou vers l’autre des protagonistes. Si les deux parties avaient été peintes sur des toiles distinctes nous serions pour chacune dans l’anecdote édifiante plutôt que devant des tableaux de maître. Raphaël montre deux aspects de la même scène, l’une divine l’autre humaine, l’une transcendante l’autre immanente, et son génie parvient à nous en faire accepter l’unité. Cette unité est d’autant plus étonnante qu’elle est purement picturale et non pas conforme au texte des Évangiles, pour lesquels Jésus rencontre le lunatique en revenant du mont Thabor. Le tableau fonctionne mieux pour nous que pour les contemporains de Raphaël, car nous sommes accoutumés au virtuel, aux caprices de l’imaginaire, à la simultanéité. C’est  le contenu implicite du message qui donne à la composition sa légitimité picturale.

La femme à genoux supplie les apôtres d’agir en faveur du malade. C’est peut-être sa mère, comme le suggère la draperie bleue assortie au vêtement du jeune homme. En tout cas l’équilibre du tableau repose sur sa présence : elle organise l’espace (les apôtres sont à sa gauche et la famille à sa droite) et ses épaules forment comme un soutien pour le rocher. Sa verticalité contraste avec la circularité des nuages et celle du bas du tableau, moins évidente mais qui apparaît lorsqu’on cache la femme à genoux derrière un pouce tendu tout en fermant un œil. C’est grâce à elle, et à l’asymétrie qu’elle nous impose, que le tableau fonctionne. Il part d’une scène qui nous est relativement familière car nous pourrions être amenés à la vivre, celle de la maladie d'un proche, à la scène supérieure que nous ne devrions pas être en mesure de contempler puisque nous ne sommes que des humains. Chacune des scènes s’inscrit dans un cercle et leur réunion forme une lemniscate, symbole de l’infini, preuve supplémentaire, s’il en fallait une, de la dimension hautement spirituelle du tableau.

Matthieu 17

17.1 - Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques, et Jean, son frère, et il les conduisit à l'écart sur une haute montagne.

17.2 - Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière.

17.3 - Et voici, Moïse et Élie leur apparurent, s'entretenant avec lui.

17.4 - Pierre, prenant la parole, dit à Jésus: Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; si tu le veux, je dresserai ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie.

17.5 - Comme il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit. Et voici, une voix fit entendre de la nuée ces paroles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection : écoutez-le !

17.6 - Lorsqu'ils entendirent cette voix, les disciples tombèrent sur leur face, et furent saisis d'une grande frayeur.

17.7 - Mais Jésus, s'approchant, les toucha, et dit : Levez-vous, n'ayez pas peur !

17.8 - Ils levèrent les yeux, et ne virent que Jésus seul.

17.9 - Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : Ne parlez à personne de cette vision, jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit ressuscité des morts.

17.10 - Les disciples lui firent cette question : Pourquoi donc les scribes disent-ils qu'Élie doit venir premièrement ?

17.11 - Il répondit : Il est vrai qu'Élie doit venir, et rétablir toutes choses.

17.12 - Mais je vous dis qu'Élie est déjà venu, qu'ils ne l'ont pas reconnu, et qu'ils l'ont traité comme ils ont voulu. De même le Fils de l'homme souffrira de leur part.

17.13 - Les disciples comprirent alors qu'il leur parlait de Jean Baptiste.

17.14 - Lorsqu'ils furent arrivés près de la foule, un homme vint se jeter à genoux devant Jésus, et dit :

17.15 - Seigneur, aie pitié de mon fils, qui est lunatique, et qui souffre cruellement; il tombe souvent dans le feu, et souvent dans l'eau.

17.16 - Je l'ai amené à tes disciples, et ils n'ont pas pu le guérir.

17.17 - Race incrédule et perverse, répondit Jésus, jusques à quand serai-je avec vous ?  Jusques à quand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi ici.

17.18 - Jésus parla sévèrement au démon, qui sortit de lui, et l'enfant fut guéri à l'heure même.

17.19 - Alors les disciples s'approchèrent de Jésus, et lui dirent en particulier : Pourquoi n'avons-nous pu chasser ce démon ?

17.20 - C'est à cause de votre incrédulité, leur dit Jésus. Je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d'ici là, et elle se transporterait ; rien ne vous serait impossible.

17.21 - Mais cette sorte de démon ne sort que par la prière et par le jeûne.