Une nuit à la belle étoile

Dans ce passage du livre IV  des mêmes Confessions Rousseau a décrit le plaisir de dormir à la belle étoile. Nous sommes à Lyon et son talent d’écrivain est à son apogée (1731) :
 
 « Je me souviens même d’avoir passé une nuit délicieuse hors de la ville, dans un chemin qui côtoyait le Rhône ou la Saône, car je ne me rappelle pas lequel des deux [il s’agirait d’une anfractuosité dans un rocher au n° 22 de l’actuel quai des Étroits]. Des jardins élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé. Il avait fait très chaud ce jour-là ; la soirée était charmante ; la rosée humectait l’herbe flétrie ; point de vent, une nuit tranquille ; l’air était frais sans être froid ; le soleil, après son coucher, avait laissé dans le ciel des vapeurs rouges dont la réflexion rendait l’eau couleur de rose ; les arbres des terrasses étaient chargés de rossignols qui se répondaient de l’un à l’autre. Je me promenais dans une sorte d’extase, livrant mes sens et mon cœur à la jouissance de tout cela, et soupirant seulement un peu du regret d’en jouir seul. Absorbé dans ma douce rêverie, je prolongeai fort avant dans la nuit ma promenade, sans m’apercevoir que j’étais las. Je m’en aperçus enfin. Je me couchai voluptueusement sur la tablette d’une espèce de niche ou de fausse porte enfoncée dans un mur de terrasse ; le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres ; un rossignol était précisément au-dessus de moi : je m’endormis à son chant ; mon sommeil fut doux, mon réveil le fut davantage. Il était grand jour : mes yeux, en s’ouvrant, virent l’eau, la verdure, un paysage admirable. Je me levai, me secouai : la faim me prit ; je m’acheminai gaiement vers la ville, résolu de mettre à un bon déjeuner deux pièces de six blancs qui me restaient encore. J’étais de si bonne humeur, que j’allais chantant tout le long du chemin ; et je me souviens même que je chantais une cantate de Batistin, intitulée les Bains de Thoméry, que je savais par cœur. » Jean-Jacques Rousseau, Confessions, Livre IV.

Mais le souvenir qu’il garde de Lyon au cours de ce voyage n’est pas globalement positif. Il écrit : « J’ai toujours regardé cette ville comme celle de l’Europe où règne la plus affreuse corruption. » (Confessions, livre IV). En effet au cours du même voyage il fait deux rencontres qui ne lui plaisent pas.

Un soir, il est assis place Bellecour, songeant à son argent en train de s’épuiser, quand un ouvrier en soie l’accoste et lui propose de « s’amuser de compagnie ».  « Il ne voulait exactement, comme il me l’avait dit, que s’amuser et que je m’amusasse, chacun pour son compte ; et cela lui paraissait si simple, qu’il n’avait même pas supposé qu’il ne me le parût pas comme à lui. » Rousseau se met à fuir à toutes jambes. Quelques jours plus tard, toujours à Lyon il rencontre un abbé qui l’invite chez lui, car il s’apprête à dormir sur un banc à la belle étoile. Or l’abbé a les mêmes penchants que l’ouvrier en soie. Il écrit : « Plus instruit que la première fois, je compris bientôt son dessein et j’en frémis (…) paraissant très importuné de ses caresses et très décidé à n’en pas endurer le progrès, je fis si bien qu’il fut obligé de se contenir. »