« Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes « d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers « instants du sommeil sont l’image de la mort ; un engourdissement nébuleux « saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l’instant précis où le « moi, sous une autre forme, continue l’œuvre de l’existence. C’est un « souterrain vague qui s’éclaire peu à peu, et où se dégagent de l’ombre et de « la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des « limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces « apparitions bizarres : le monde des Esprits s’ouvre pour nous. »

Photo de Gérard de Nerval
Tel est le début d’Aurélia ou le rêve et la vie (1855), la dernière œuvre de Gérard Labrunie dit Gérard de Nerval (1808-1855). Il l’a rédigée en grande partie dans la maison de santé du docteur Émile Blanche où il reçut des soins à plusieurs reprises. Il dit lui-même qu’il donne  dans ce texte « les impressions d’une longue maladie qui s’est passée tout entière dans mon esprit. » Il s’est suicidé avant de l’avoir achevée.

Dans ce long poème en prose il part à la recherche de sa bien-aimée, la cantatrice Jenny Colon, rebaptisée Aurélia pour les besoins de la littérature, morte en 1842, et qu’il a aimée d’un amour platonique. En rêve il la transforme en mère universelle, ce qui n’a rien d‘étonnant quand on sait qu’il a perdu sa mère à l’âge de deux ans. La mort d'Aurélia représente pour lui « l'épanchement du songe dans la vie réelle », ce  qui lui permet de s’aventurer en terre inconnue, c’est-à-dire au sein de son propre mental, fait de mysticisme et de culpabilité, et de décrire des hallucinations qu’il prend pour la réalité. Les frontières entre le délire et lucidité sont incertaines et c’est ce qui fascine dans ce récit autobiographique, parangon de l’onirisme en littérature.