Trouble de nature esthétique éprouvé devant
une œuvre d’art. Cette décompensation culturelle se manifeste sous la forme
d’une crise d’angoisse avec vertiges, suffocation, battements de cœur, douleurs
dans la poitrine, perte du sentiment d’identité et du sens de l’orientation,
allant parfois jusqu'au délire et à la dépersonnalisation. L'affection survient
chez des personnes impressionnées par le lieu exceptionnel où leur voyage les a
menées. Ce nom a été donné en 1990 par le docteur Graziella Magherini,
psychiatre à Florence, en référence aux émotions ressenties par Stendhal dans
cette même ville en 1817 à la sortie de l’église Santa Croce où il venait de
voir une série de chefs-d'œuvre : « Enfin, je suis arrivé à Santa Croce. Là, à
droite de la porte, est le tombeau de Michel-Ange; plus loin, voilà le tombeau
d'Alfieri, par Canova : je reconnais cette grande figure de l'Italie.
J'aperçois ensuite le tombeau de Machiavel ; et, vis-à-vis de Michel-Ange,
repose Galilée. Quels hommes ! Et la Toscane pourrait y joindre le Dante,
Boccace et Pétrarque. Quelle étonnante réunion ! Mon émotion est si profonde
qu'elle va presque jusqu'à la piété. Le sombre religieux de cette église, son
toit en simple charpente, sa façade non terminée, tout cela parle vivement à
mon âme. Ah ! si je pouvais oublier... ! Un moine s'est approché de moi ; au
lieu de la répugnance allant presque jusqu'à l'horreur physique, je me suis
trouvé comme de l'amitié pour lui. [...] Je l'ai prié de me faire ouvrir la
chapelle à l'angle nord-est, où sont les fresques du Volterrano. Il m'y conduit
et me laisse seul. Là, assis sur le marchepied d'un prie-Dieu, la tête
renversée et appuyée sur le pupitre, pour pouvoir regarder au plafond, les
Sibylles du Volterrano m'ont donné peut-être le plus vif plaisir que la
peinture m'ait jamais fait. J'étais déjà dans une sorte d'extase, par l'idée
d'être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les
tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de
près, je la touchais pour ainsi dire. J'étais arrivé à ce point d'émotion où se
rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les
sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur,
ce qu'on appelle des nerfs à Berlin ; la vie était épuisée chez moi, je
marchais avec la crainte de tomber. Je me suis assis sur l'un des bancs de la
place de Santa Croce ; j'ai relu avec délices ces vers de Foscolo, que j'avais
dans mon portefeuille ; je n'en voyais pas les défauts : j'avais besoin de la
voix d'un ami partageant mon émotion. » (Stendhal, Rome, Naples,
Florence).