Un de mes critères pour afficher un mot dans ce bloc-notes est sa beauté : Adamantin, Apostille, Cautèle, Coquecigrue possèdent des vertus intuitives qui s'imposent avant même qu'on ne découvre leur définition. Ils séduisent par leur sonorité, l'agencement des lettres qui les composent, l'énigme qui les aide à donner du relief à une phrase. Notre voix intérieure les adopte alors que leur sens est encore incertain. Nous savons, sans attendre la confirmation du dictionnaire, qu'ils sont à nous.

Je n'ignore pas les vilains mots mais je préfère ne pas les afficher pas car ils parlent une langue sèche et dure. Comment peut-on aimer Judiciarisation ? Désindustrialisation ? Tribalisation ? Problématique ? Détricotage ? Victimisation ? Cybercriminalité ? Sans parler de la série des anglicismes, ces mots qui ne prennent même plus la peine de faire semblant : Zapping, Coming out, Electrofunk. Je ne milite pas pour leur suppression du langage courant ni du dictionnaire. Ils ont leur utilité, leur efficacité, il se peut qu'un jour ils aient leur histoire. Je désire simplement en promouvoir d’autres qu’on a moins l'opportunité de fréquenter. Ce n'est pas moi qui ferai leur succès mais ceux qui les reprennent, les nourrissent, les épinglent dans leurs propres récits afin de découvrir comment ils fonctionnent.

La porte du Garde-mots s'ouvre régulièrement pour l'un d'entre eux, comme si je prétendais les mettre en cage, comme si j'avais des droits sur eux. Je ne suis qu'un chasseur-cueilleur des temps primitifs, nomade et heureux lorsqu'il est avec sa tribu, à l'aube d’un monde inconnu qui leur réserve une place de choix.

Autoproclamé, toujours à la recherche d'un nouveau mot, de la sensation qui le rend encore plus séduisant, j'affirme ici que l'avenir des mots est assuré parce que d'autres en tirent leur énergie en essayant de les réinventer.

Les mots ne sont pas à nous mais à ceux qui les désirent si fort qu'ils leur viennent tout naturellement aux lèvres. Je voudrais continuer à être un passeur de mots pour mieux les aider à vivre ou à revivre, et me dire que le français n'est pas arrivé au bout de sa richesse.

{C'est aujourd'hui le premier anniversaire du Garde-mots}

[Retrouvez ce billet dans L'Almanach 2009 du Garde-mots]