Extrait du Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas (Voltaire, 1763), chapitre XXIII.

Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.

Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant
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Certains invités étaient un peu crispés. Ils auraient sans doute préféré un mariage plus conventionnel, en tout cas lisible en première intention, comportant plus de religion que de spiritualité. Je crois surtout que les mariés avaient envie, à l’occasion de ce jour en tous points exceptionnel pour eux, de se montrer auprès leurs amis tels qu’ils sont, et d'accomplir des actes symboliques en rapport avec leur conception du monde. C’est en entendant le texte de Voltaire que je décidai d’écrire ce billet.

Christian DelormeTrois questions au Père Christian Delorme

LGM. Père, il y a quelques mois, vous ne connaissiez pas les mariés. Comment vous êtes-vous embarqué dans cette aventure ?
CD. Je suis habitué aux célébrations de mariages exceptionnels, et d'ailleurs je travaille sur l’interreligieux. L’essentiel, à mon sens, c’est de marier des gens qui s’aiment, de les aider à construire du bonheur. C’est la maman de Lina qui m’a contacté. David et Lina ont ensuite bâti la cérémonie dont ils devaient définir eux-mêmes le déroulement et ils sont réussi au delà de mes espérances. Je les ai aidé à choisir certains textes, en particulier celui du Coran.

LGM. En quoi ce mariage pourrait-il choquer certaines personnes ?
CD. Pas du côté catholique.  Plutôt du côté musulman, car si Lina vient d’épouser un homme du Livre, il n’en est pas moins non musulman et ça, ce n’est pas accepté.

LGM. Pourquoi ce texte de Voltaire dont la signature, vous le reconnaîtrez, interpelle aussi bien les croyants que les non croyants? Pourquoi, surtout, l’avoir placé à la fin de la cérémonie ?
CD. Nous voulions terminer sur une prière et ils ont découvert ce texte. Une prière quasiment inconnue ! Certes Voltaire n’était pas d’accord avec les musulmans, il a d’ailleurs écrit une pièce sur Mohammed qui en témoigne. Et surtout il a brocardé la religion. En le choisissant les mariés ont plutôt voulu, avec mon accord, dénoncer les  intégrismes de toutes sortes. Ainsi, en bousculant les lois religieuses, on peut faire naître une nouvelle profondeur.

Voltaire et le pape

VoltaireDans sa tragédie Le fanatisme ou Mahomet le prophète (écrite en 1739 et représentée pour la première fois en 1741) Voltaire s’en prend de façon apparente au mahométanisme, terme de l’époque pour désigner la religion musulmane, et à son intégrisme. En fait il s’agit d’un tour, et même d’un détour, qui lui permet de critiquer subrepticement le christianisme. Dans sa jouerie, il va jusqu’à dédicacer sa pièce au pape Benoît XIV, lequel, en le remerciant, n’hésite pas à lui faire comprendre qu’il n’est pas dupe. Voltaire sera attaqué en justice pour sa pièce et devra la retirer. Ne soyons pas surpris par ce fait. Nous ne sommes même pas obligés de le remettre dans son contexte historique. Demandons-nous plutôt comment cette pièce serait reçue si elle était jouée aujourd’hui…