Spiritualité et Humanisme
Par le gardien le lundi 8 septembre 2008, 00:00 - Gardimots - Lien permanent
Tout a commencé par une cérémonie religieuse dans un cellier en pierres dorées du Beaujolais, sur les lieux mêmes de la réception. Les mariés, David et Lina, formaient un couple comme les autres, avec toutefois une particularité. Issus de cultures différentes, ils avaient demandé au père Christian Delorme, curé bien connu pour ses positions originales et tranchées, chargé au diocèse de Lyon des relations avec les musulmans, de les aider à consacrer leur union. La Bible, le Coran et un Arbre de vie, posés sur une simple planche de bois, symbolisaient la Table de cérémonie.
Chaque instant fut un moment fort. C’est ainsi que les quelque 150 à 200 invités purent entendre un conte africain, un texte de mère Teresa sur l’Amour, un extrait du Coran (la sourate An-Nûr, autrement dit les Versets de la Lumière). Ces versets ont d’abord été lus en arabe puis le P. Delorme en a donné une traduction française. Il y avait aussi un conte soufi, un extrait de l’Évangile de Matthieu sur Jésus et le mariage, la célébration de l’Arbre de Vie, de la musique anglo-saxonne, bref un cérémonial inédit, composite et joyeusement sérieux. Jusque là, ça sonne un peu différent mais, après tout, le XXIe siècle est déjà bien entamé. Le curé a béni les alliances, puis David et Lina ont allumé ensemble une bougie, suivant en cela la tradition juive. Le Père Delorme en profita pour leur rappeler que, selon les religions juive et musulmane, "se marier c’est déjà accomplir la moitié de la religion". ll ajouta, avec un rien de malice : "Que ça ne vous empêche pas de faire vôtre la deuxième moitié !"
Nous sommes pour l’entente des êtres et des peuples, n’est-ce pas ? Notre sensibilité ne se contente plus de l’étroite répétition des traditions ancestrales ? Nous avons un regard attendri sur le monde actuel ? Eh bien, vous croyez avoir tout vu, tout lu, tout entendu ? Le plus surprenant, c’est pour maintenant. La cérémonie se termina par un texte de Voltaire. Imaginez : un curé lisant religieusement du Voltaire... Pas n’importe quel curé, je vous l’accorde, mais pas n’importe quel texte de Voltaire non plus : une prière.
Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.
Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant.
Certains invités étaient un peu crispés. Ils auraient sans doute préféré un mariage plus conventionnel, en tout cas lisible en première intention, comportant plus de religion que de spiritualité. Je crois surtout que les mariés avaient envie, à l’occasion de ce jour en tous points exceptionnel pour eux, de se montrer auprès leurs amis tels qu’ils sont, et d'accomplir des actes symboliques en rapport avec leur conception du monde. C’est en entendant le texte de Voltaire que je décidai d’écrire ce billet.
Trois questions au Père Christian Delorme
LGM. Père, il y a quelques mois, vous ne connaissiez pas les mariés. Comment vous êtes-vous embarqué dans cette aventure ?
CD. Je suis habitué aux célébrations de mariages exceptionnels, et d'ailleurs je travaille sur l’interreligieux. L’essentiel, à mon sens, c’est de marier des gens qui s’aiment, de les aider à construire du bonheur. C’est la maman de Lina qui m’a contacté. David et Lina ont ensuite bâti la cérémonie dont ils devaient définir eux-mêmes le déroulement et ils sont réussi au delà de mes espérances. Je les ai aidé à choisir certains textes, en particulier celui du Coran.
LGM. En quoi ce mariage pourrait-il choquer certaines personnes ?
CD. Pas du côté catholique. Plutôt du côté musulman, car si Lina vient d’épouser un homme du Livre, il n’en est pas moins non musulman et ça, ce n’est pas accepté.
LGM. Pourquoi ce texte de Voltaire dont la signature, vous le reconnaîtrez, interpelle aussi bien les croyants que les non croyants? Pourquoi, surtout, l’avoir placé à la fin de la cérémonie ?
CD. Nous voulions terminer sur une prière et ils ont découvert ce texte. Une prière quasiment inconnue ! Certes Voltaire n’était pas d’accord avec les musulmans, il a d’ailleurs écrit une pièce sur Mohammed qui en témoigne. Et surtout il a brocardé la religion. En le choisissant les mariés ont plutôt voulu, avec mon accord, dénoncer les intégrismes de toutes sortes. Ainsi, en bousculant les lois religieuses, on peut faire naître une nouvelle profondeur.
Voltaire et le pape
Dans sa tragédie Le fanatisme ou Mahomet le prophète (écrite en 1739 et représentée pour la première fois en 1741) Voltaire s’en prend de façon apparente au mahométanisme, terme de l’époque pour désigner la religion musulmane, et à son intégrisme. En fait il s’agit d’un tour, et même d’un détour, qui lui permet de critiquer subrepticement le christianisme. Dans sa jouerie, il va jusqu’à dédicacer sa pièce au pape Benoît XIV, lequel, en le remerciant, n’hésite pas à lui faire comprendre qu’il n’est pas dupe. Voltaire sera attaqué en justice pour sa pièce et devra la retirer. Ne soyons pas surpris par ce fait. Nous ne sommes même pas obligés de le remettre dans son contexte historique. Demandons-nous plutôt comment cette pièce serait reçue si elle était jouée aujourd’hui…
Commentaires
si le XXI sciècle voit la fin des guerres de religion, ce sera grace à des articles comme le tien, et bien entendu à des moments de graces commme celui que j'ai eu la chance de partager avec toi .
merci Lina et David, merci Père Delorme....pour l'avenir que nous préparons à nos enfants
Merci, mamisa. Tu sais de quoi tu parles puisque tu étais à ce mariage.
Merci, Dan, voilà une réflexion personnelle sur un sujet universel, faite avec tranquillité et tolérance.
Ce qui est au coeur de l'homme est UN.
Chaque re-présentation en est un des visages puisqu'il est en Tout et porté par chaque parole de chaque humain même si Son visage est parfois bien peu reconnaissable et voilé par l'Ombre.
Peut-être au delà des expressions ne faut-il pas oublier l'Essentiel.
En tous cas tout le bonheur aux jeunes mariés et à ceux qui les ont bénis et accompagnés dans ce chemin singulier.Ils ont été Uns.
"Ce qui est au coeur de l'homme est UN". Tu as raison, Freudina. À partir de cette constatation la réflexion peut avancer, patiemment et en toute compréhension entre les diverses positions.
Je n'ai rien inventé. Reçu de mon ami Carlo, l'information selon laquelle on a dû, il y a quelques années renoncer à monter la pièce de Voltaire. Il me semble maintenant m'en souvenir. Après recherche, je constate qu'il y a trois ans une lecture de la pièce a pu tout de même avoir lieu.
Magnifique ce texte de Voltaire. Imaginer que cela fut ecrit il y a presque 250 ans. L'humanite a-t-elle vraiment progressee depuis?
Quand au mariage, je comprends et partage la notion; j'aurais bien voulu y etre moi-meme: mon marriage a lui-meme represente l'union entre traditions taiwanese et francaise; prononce au sein d'une petite chapelle du Pays Basque, les voix ont fait retentir la batisse de clameurs francaises, mandarines et basques.
Je crois que ceux qui ont la chance de vivre ces ceremonies mixtes ne peuvent rester insensibles au ridicule des integrismes.
Et bien, la pièce serait tout simplement reçue en fonction des capacités de chacun à en faire la lecture: le nez sur le texte ou depuis la stratosphère.
Ce qui ne va pas empêcher tout le monde de refaire les mêmes erreurs le lendemain, sous l'influence des médias, des collègues, des voisins, des parents: c'est tellement difficile, la liberté de penser...
Merci pour ce très beau texte de Voltaire et pour nous avoir fait partager ce si beau moment de tolérance.
Longue vie aux mariés !