Extimité
Par le gardien le jeudi 16 juin 2011, 00:00 - Singumots - Lien permanent
L’intimité extériorisée, ou extimité, est un paradoxe contemporain qui pose des problèmes à la fois personnels et sociétaux. Elle est facilitée par les nouvelles technologies et leur fluidité numérique. À ce titre le blog, journal intime sur Internet, est caricatural. Les réseaux sociaux et la télé-réalité permettent également une visibilité permanente. Cette intimité dévoilée c’est un peu comme si on vivait dans une maison de verre. Grâce à l’immédiateté, la simultanéité et l’universalité, l’écriture publique de l’intime permet de « s’éclater », d’être à la fois un et multiple. C’est sans doute le rôle principal que joue le virtuel : venir au secours du réel. Il ne s‘agit pas seulement d’en faire profiter les autres mais aussi soi-même et de trouver ainsi des repères qui, autrement, feraient défaut. L’intime, c’est ce qui réside au plus profond de soi. Tout en se cachant derrière un pseudonyme on donne à voir non seulement ses faits et gestes mais également son monde intérieur.
Partagé avec d’autres, l’intime devient ainsi plus supportable. Il ne s’agit pas d’un simple exhibitionnisme cherchant à racoler le voyeurisme des autres, de lancer ses fantasmes à l'assaut du grand jour mais surtout de faire un pas supplémentaire vers l’estime de soi. Le narcissisme et l'individualisme s’en trouvent justifiés, voire renforcés.
La nouvelle sociabilité intime, qui s’élabore sous le regard des autres, permet de mieux s’affirmer, d'être reconnu comme ayant une identité propre, de découvrir sa véritable nature, de savoir ce qu’on pense vraiment de soi, de faire valider certains éléments de sa propre histoire. C'est en particulier l'enjeu de la génération Y.
Tout roman, toute pièce de théâtre, tout film, en nous montrant la vie intime des personnages, en exprime l’extimité. En nous identifiant à eux, nous nous prenons pour des héros. C'est certainement ce qui explique notre intérêt pour le domaine artistique.
L’extimité, que l'on pourrait redéfinir comme une intimité interpersonnelle multiple, redessine la frontière - mouvante et émouvante - entre le singulier et le collectif. Est-elle publique ? Est-elle privée ? Et dans ce cas privée de quoi ?
Commentaires
Ça fait presque un mot-valise, du genre : "extinction de la timidité".
Quel mot formidable Garde!
En l'espagnol on appelle "ami intime" (amigo íntimo) a un ami très proche, avec lequel nous partageons beaucoup de notre intimité.
Il serait intéressant d'avoir "des amis extimes" (amigos éxtimos). Domage que on n´a pas ce mot!
Je me demande si vous avez en français l´expresion “amis intimes” ou si on appelle autrement la relation avec nos meilleurs amis.
PS.
Ver00, C´ est bon de vous retrouver ici, dans cette blog “extime” et “intime” a la fois .
Saludos, Ana
bonjour Monsieur le Gardien
pourriez-vous me donner une définition du mot "indiviosité", qui figure dans une des deux lettres insérées en préambule à la réponse de Léon BLOY à ses "cochons".
(ouvrage plein de verve qui fait parfois paraître le pauvre Céline bien timoré).
merci de m'éclairer, mes sources sont limitées.
nous sommes copiés, mais le mot en français a sûrement plus de finesse surtout entouré de musique.
Les mots sont déjà si complexes qu'il en faut faire une étude, de nombreuses études, il y a même des appropriations et je vois maintenant qu'il faut les redéfinir !
Il n’y a des professions qui ne doivent pas être faciles, pauvres interprètes, pauvres traducteurs, rien de mathématique si ce mot peut convenir. Mais merci pour le mot, mot nouveau pour moi, il n'aurait donc même pas cent ans.
La langue française est belle, mais à quel prix, à cause des mots il y a aussi la potence, riche français ?
Je pleure de n'avoir pas appris les langues mortes. Mais comment font les traducteurs pour traduire notre langue si subtile, si colorée, si aimante et si méchante. Rions, je pense que la seule façon de traduire le français et de le lire pour l'apprendre et le comprendre.
@ hermès. Le mot "indiviosité" n'existe sans doute pas car le fait de le taper dans Google n'apporte aucun résultat. Par contre "individiosité", qui fait penser à "individu" en donne deux. Il semble recouvrir la notion que nous appelons plutôt individualisme.
@ la.vigie : "Mais comment font les traducteurs pour traduire notre langue si subtile, si colorée, si aimante et si méchante."
Pour avoir traduit des textes professionnels d'anglais en français je peux te parler de mon expérience. Le traducteur est souvent confronté à un choix :
- soit être près du texte afin de rendre l'idée ;
- soit être prêt de l'esprit du texte afin de restituer la sensibilité de l'auteur, les connotations, l'ambiance.
En cas d'hésitation il faut choisir la deuxième solution. Voici un exemple caricatural. Que penserait le lecteur d'un roman traduit de l'anglais dans lequel il lirait : "Il pleut des chats et des chiens ("It rains cats and dogs") ? Sauf circonstance particulière bien entendu. Le texte ne fonctionne bien, ne restitue ce qu'a voulu l'auteur, que si le traducteur a rendu l'expression par "Il pleut des cordes" ou "Il pleut à vache qui pisse", selon l'ambiance du livre, le personnage qui s'exprime, etc. J'en profite pour dire que les traducteurs sont mal honorés dans le système éditorial français, et c'est dommage. Ils devraient être associés de façon plus évidente aux œuvres qu'il servent.
Il y a une phrase italienne pour ce que vous venez d'expliquer : Traduttore, traditore!
(Traducteur, traître!) Je ne sais pas qui l'a dite, mais plusieurs fois, elle a raison.
Oui, cette phrase, "Traduttore, traditore" est également connue en France.
Ver00. Vous soulevez une question intéressante. Quand je publie des mots rares - et c'est très souvent, je reçois peu de commentaires. Quand le mot correspond à une expérience personnelle fréquente, il y en a plus.
bonjour cher Monsieur
merci de votre réponse, je regarderai mieux mon ouvrage car vous avez sûrement raison vu la tournure employée par les auteurs en lien, qui ont de surcroît été cités il me semble, je vous recopierai l'extrait si cela vous intéresse.
merci à vous
rebonjour
voici la citation et le mot est "invidiosité".
"ces cochons compissaient mes plaies du vinaigre de leur sottise et du fiel de leur invidiosité".
(extrait de la lettre de Laurent TAILHADE à Léon BLOY du 12 mai (année non précisée) et figurant en tête de "Léon BLOY devant les cochons", Mercures de France, 4ème édition, 1935)).
mais tout cela ne donne pas plus la définition.
J'ai trouvé ! Merci de m'obliger à réfléchir.
Il s'agit d'un néologisme. J'ai d'abord retrouvé le mot à un seul exemplaire - il s'agit donc également d'un hapax - sous la plume de Laurent Tailhade dans le texte suivant, qui n'a pas exactement la même tournure que la lettre que vous citez : "Tout ce que peut contenir de haine, d'invidiosité fangeuse, de calomnie et de sottise, l'âme d'un concierge, d'un sergot, d'une institutrice laïque, d'un raté du roman ou de la bureaucratie a déferlé comme une vague excrémentielle sur la tête de ce bel artiste, dont le crime fut avant tout d'être opulent, heureux, doué d'un tempérament que l'amateurisme n'a faussé ni alangui..."
Laurent Tailhade connaissait le latin. Il a forgé son mot (favori ?) qui veut dire malveillance en le tirant du mot latin invidia, comme l'atteste ce bon vieux Gaffiot.
ah grand merci, je vois que vous vous êtes amusé, je suis ravie.
Enfin, je n'ai pas cité la lettre d' Henry de Groux, mais elle présente moins d'intérêt, surtout qu'elle ne fait pas référence aux péripéties politiques de cette époque.
merci bien sincèrement
je vais reprendre mes classiques latins.
On peut le dire comme ça. On peut dire que lorsque la proportion entre l'intimité et l'extimité s'inverse, l'individu aussi bien que la société sont en danger.