Rousseau et la musique

S’il avait rencontré le plein succès dans la musique, Jean-Jacques Rousseau ne serait sans doute jamais devenu le philosophe autodidacte que l’on connaît. C’est en effet en tant que musicien qu’il se lança à la conquête de la société. Il le précise dans Les Confessions (Livre V) : « Il faut assurément que je sois né pour cet art, puisque j'ai commencé de l'aimer dès mon enfance, et qu'il est le seul que j'aie aimé constamment dans tous les temps. » Il jouait de la flûte à bec et de l'épinette.

Son père jouait du violon mais c’est surtout à la tante Suzon (Suzanne Rousseau) qu’il doit sa passion pour la musique. Figure maternelle de remplacement puisqu’il avait perdu sa mère quelques jours après sa naissance (28 juin 1712), elle avait l’habitude de lui chanter des chansons. Plus tard (1729) il apprit la musique à Chambéry avec un maître de musique de la cathédrale du nom de Le Maître (il s'agit d'un aptonyme). Pendant ce temps Mme de Warens lui apprenait à chanter. En 1730 à Lausanne il se fait passer, sous le nom de Vaussore de Villeneuve (Vaussore est l’anagramme de son nom), pour un compositeur parisien. Il donne un concert qui se termine dans un fou-rire général. Il passe ensuite quelques mois à Neuchâtel où il donne des leçons de musique sans vraiment la connaître et de composition sans avoir appris l’harmonie. Puis il se rend à Lyon où, moyennant le gîte et le couvert, un antonin lui fait copier de la musique.

Sa première publication est un mémoire intitulé Projet concernant de nouveaux signes pour la musique qu’il lit le 22 août 1742 devant une commission de l’Académie des Sciences composée d’un mathématicien, d’un chimiste et d’un astronome. Son but est de rendre la musique plus facile à noter et à apprendre. Il espère ainsi se faire un nom à Paris et c’est d’ailleurs comme musicien qu’il y sera d’abord connu. Le mauvais accueil des académiciens l’incite à refondre son projet pour le présenter au public sous la forme d’une Dissertation sur la musique moderne (1743). Il propose de remplacer la portée par une seule ligne, les sept notes de la gamme par des chiffres de 1 à 7, les dièses et les bémols par des barres, les valeurs par un jeu de points et de virgules.  Il espère, avec ce système de notation qui rend la musique plus facile à noter et à apprendre, se faire un nom à Paris, peut-être même révolutionner la musique, mais il ne rencontre pas le succès escompté. Il vivra principalement en tant que copiste de musique. Il copiera 6000 pages, d’après ce qu’il en dira lui-même.

En 1745 il  retouche l’opéra de Voltaire et Rameau, Les Fêtes de Ramire mais n’arrive pas à rendre son travail à temps. La même année il compose les paroles et la musique d’un opéra-ballet, Les Muses Galantes, qui fait l’objet d’une exécution partielle chez un mécène, le riche fermier général La Pouplinière mais Rameau, jaloux de sa suprématie, apostrophe Rousseau avec brutalité. Il déclare que l’ouverture est trop bonne pour être de Rousseau et que le reste de la musique est le fait d’une ignorant. Il critique également le caractère italien de certains passages.

À partir de 1749,  Rousseau, du fait qu’il possède aussi bien la théorie que la pratique,  est chargé par son ami Diderot d'écrire les articles sur la musique pour l'Encyclopédie, en  particulier les articles Musique et Musicien. Au fil des années il accumule 400 articles, qu’il révisera et réunira en 1767, en un Dictionnaire de Musique, importante mine de renseignements, d’où se dégage une véritable théorie de la musique et qui sera très longtemps une référence.

Le 18 décembre 1752, son opéra, Le Devin du village  composé en trois semaines, est joué devant le roi, et remporte un très grand succès. Louis XV veut lui offrir une pension mais Jean-Jacques, perclus de timidité, ne se présente pas à l’audience au cours de laquelle elle doit lui être attribuée. Cette fuite sera l'occasion d’une brouille avec Diderot, qui ne comprend pas une telle attitude. L’œuvre sera acceptée l’année suivante au répertoire de l'Opéra de Paris et jouée jusqu'en 1829. C’est le premier opéra dont les paroles et la musique sont du même auteur.

Cet opéra pastoral  montre les amours contrariées de Colin et Colette. Le devin du village annonce à Colette qu’une dame a su captiver le cœur de son berger. Il rend jaloux Colin en lui faisant croire que Colette est partie avec un monsieur de la ville. L’affaire, bien évidemment, se termine par une nouvelle entente de Colin et Colette.

En 1753, Rousseau publie un Lettre sur la musique française dans laquelle il défend, en fait, la musique italienne. Paris est alors en pleine Querelle des bouffons. Son engagement dans cette affaire se traduit par la défense de l'opéra italien qu’il a appris à aimer au cours d’un séjour à Venise en 1743-1744 contre la tragédie lyrique française. Il trouve la musique française, représentée avant tout par Jean-Philippe Rameau, trop savante alors qu’il prône une musique affective, basée sur la mélodie plus que sur l’harmonie.  L’opinion publique  se mobilise contre Rousseau.

Son Essai sur l'origine des langues porte en sous-titre « Où il est parlé de la mélodie et de l’imitation musicale ». Cette œuvre posthume rappelle que les langues et la musique ont une origine commune.

Il faut reconnaître que Rousseau, s’il est un génie des lettres, a composé une musique un peu trop facile, sans prétention mais plus intéressante que magistrale. Il a sur faire passer pour un art dépouillé, inspiré de la nature ce qui n’était que compétence limitée.