Jan Vermeer. Allégorie de la foi. 1670-1672
New York, Metropolitan Museum of Art.
La scène se déroule dans un intérieur privé
comme en attestent la tenture calée sur une chaise et son coussin bleu. Elle
nous montre un événement religieux, ce qui est plutôt inattendu dans un tel
cadre, mais s’explique par le fait qu’au XVIIe siècle les catholiques n’avaient
pas le droit de pratiquer la messe en public. Ils le faisaient chez eux, dans
des chapelles privées.
Une femme en extase est assise sur une estrade
recouverte d’un tapis. Elle s’appuie sur une table haute où sont posés un
crucifix, une Bible, un calice et sans doute une chasuble. Les couleurs
éclatantes de son vêtement blanc (symbole de pureté) et bleu (couleur de
Marie), tranchent sur le reste de la composition. Elle a la main droite sur le
cœur en signe de foi et le pied droit sur le globe terrestre, afin de rappeler
avec force que la religion domine le monde. Elle est parfaitement dans
son rôle car elle
personnifie
l’allégorie annoncée dans le titre du tableau, c’est-à-dire la foi catholique
triomphant du protestantisme. La pomme sur le sol ainsi que le serpent de la
Genèse écrasé par une pierre, contrastant avec le réalisme de la demeure
hollandaise, indiquent que le mal est terrassé. Né dans un milieu calviniste,
Vermeer se convertit au catholicisme, la
religion d’une minorité marginalisée, qui était celle de son épouse, avec
laquelle il habitait à Delft dans un quartier nommé « le coin des papistes ».
C’est ce qui explique qu’il ait peint ici une « église cachée » ou
schuilkerk. Il s’agit d'ailleurs
d’une œuvre de commande, donc idéologique.
Le tableau est construit de manière
géométrique, avec ses rectangles, ses losanges, ses triangles et ses ronds qui
organisent l’arrière-plan. Cependant deux lignes obliques, celle de la tenture,
celle de la femme chavirée, rompent avec l’harmonie préétablie et confèrent à
l’ensemble une énergie peu commune. Une troisième ligne oblique recoupe les
deux précédentes, celle de la lumière qui comme toujours chez Vermeer est
absente-présente : sa source est hors champ mais on l’aperçoit dans la boule de
verre qui pend du plafond. Ses effets sont évidents, en particulier sur la robe
de la femme et sur la Bible, vers lesquelles le regard est attiré. Grâce à elle
la foi fait le lien entre le monde terrestre et le monde spirituel.
La religion est omniprésente dans ce tableau, en particulier par le motif de la
croix qui y figure deux fois. La peinture sur le mur est une version simplifiée
du tableau de Jacob Jordaens,
Le Christ en croix (peint aux alentours
de 1620). Au XVIIe siècle la technique du « tableau dans le tableau » est
courante. Pour la composition dans son ensemble Vermeer tire son inspiration
d'un recueil de figures allégoriques,
L'Iconologia de
Cesare Ripa (1593), très
utilisée par les peintres de l’époque.
Ce tableau, très différent de l’ensemble de l’œuvre de Vermeer, nous aide à
comprendre qu’il réfléchissait longuement à ses toiles, y ajoutant du
symbolisme avec une virtuosité sans pareille. Il ne se contentait pas de
représenter une certaine réalité. Chez lui le monde est apparemment ordonné
mais quand on l’étudie de près on s’aperçoit qu’il en dit plus que le regard ne
peut saisir du premier coup.
L’
Allégorie de la foi n’est pas le plus populaire des tableaux de
Vermeer mais il n'en demeure pas moins l’un des plus emblématiques de sa
manière de peindre.