Alchimie du verbe
Par le gardien le vendredi 27 juin 2008, 00:00 - Gardimots - Lien permanent
Sous le titre Alchimie du verbe, il note :
A moi. L'histoire d'une de mes folies.
Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.
J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.
Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de moeurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements.
J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges.
Rimbaud a marqué à jamais la poésie. Nul ne peut prétendre écrire un vers, même pauvre, sans penser à l'Homme aux semelles de vent, celui qui, le premier, a su prendre l’envolée dont nous ne sommes jamais revenus. Lui rendre une visite est comme un acte de foi. Un hommage à la jeunesse en sa dimension sacrée, à la révolte, aux élans qui inventent un rêve plus grand, à tout ce qui ruisselle en nous quand jaillit la poésie. Dimanche dernier à Charleville-Mézières, où il est né, j’ai pu voir l’original de "Voyelles". Rimbaud y pratique la synesthésie comme s'il voulait donner un sens au mystère qui va bientôt l'abandonner. De la première voyelle, A, à la dernière, O, il utilise l’ordre grec et non pas celui qui nous semble "naturel", AEIOU. Grâce à lui, entre l'alpha et l'omega, le début et la fin du monde, circule une énergie aux couleurs chatoyantes, comme un arc-en-ciel de pensées.
Comme je descendais des Fleuves
impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloué nus aux poteaux de couleur.
J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
(...)
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la mer, infusé d'astres, et lactescent,
(...)
Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où, vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Elle est retrouvée
Quoi ? L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.
Vous pouvez vous-même rendre visite à Rimbaud en cliquant
ici.
L'Almanach 2010 du Garde-mots]
Commentaires
Après un plaidoyer pour les couleurs voici "un arc-en-ciel de pensées"…
La poésie.
Reflets, nuances et couleurs qui vous irisent l'âme et que le cœur peut voir.
Synesthésie ? Allons-y gaîment ! Voyelles est un bel exemple de synopsie, ne trouvez-vous pas ?
Je suis d'autant plus d'accord que la synopsie est une forme de synesthésie.
La tombe de Rimbaud est la preuve éclatante de la validité de l'astrologie
Alphonse Allais et lui sont nés tous deux le 20 octobre 1854 et morts le 10 novembre 1891
(sauf Alphonse Allais qui est mort le 28 octobre 1905
exception qui infirme la règle)