Le parcours Rimbaud est celui d'une ville qui aurait oublié de mesurer le temps, de compter les pas qui l'organisent au creux de son méandre, de vivre autrement que pour celui qui la détestait et dont elle berce le souvenir du mieux qu'elle peut. C'est pourquoi la lente montée vers le cimetière, en fin de journée, après l'orage, le dos tourné à la place Ducale, est comme une initiation. On avance en songeant au voleur de feu. Il sera là c'est sûr, le poète-enfant, mais comment va-t-il accueillir le visiteur ? Sera-t-il guéri de la blessure du vivant  ? Sourira-t-il de ses dents mortes comme pour dire que la vie l'a un peu trop tôt poussé vers l'Ailleurs ? Presque à l'entrée, à la croisée des grandes allées, sa tombe s'impose d'elle-même, alors qu'on aurait voulu la chercher un peu. L'émotion fleurit, comme un éclat flamboyant et inattendu. Priez pour lui, est-il écrit en lettres d'or sur le marbre blanc :

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloué nus aux poteaux de couleur.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

(...)

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la mer, infusé d'astres, et lactescent,

(...)

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où, vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Voilà, c'est fait. J'ai dit, à voix intérieure, un peu comme si j'avais prié, les bribes du Bateau ivre qui voulaient bien remonter.

Rimbaud est désormais dans mon Panthéon, aux confins de la vie et de la lumière.

Elle est retrouvée
Quoi ? L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.



Tombe d'Arthur Rimbaud
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[Retrouvez ce billet dans
L'Almanach 2010 du Garde-mots
]