Pansophie
Par le gardien le lundi 12 octobre 2009, 00:00 - Singumots - Lien permanent
Champion de la société organisée contre chantre de la nature : Voltaire (1694-1778) et Rousseau (1712-1778) ne se sont rencontrés qu’une seule fois mais ils s’entredéchiraient régulièrement par littérature interposée.
Rousseau dans Les Lettres écrites de la Montagne (1764) reprocha à Voltaire de ne pas croire en Dieu. Celui-ci rétorqua de manière cinglante par une Lettre au docteur Pansophe. On peut y lire :
« Docteur Pansophe, vous vous êtes fait le précepteur d'un certain Émile, que vous formez insensiblement par des moyens impraticables ; et pour faire un bon chrétien, vous détruisez la religion chrétienne. Vous professez partout un sincère attachement à la révélation, en prêchant le déisme, ce qui n'empêche pas que chez vous les déistes et les philosophes conséquents ne soient des athées. J'admire, comme je le dois, tant de candeur et de justesse d'esprit, mais permettez-moi de grâce de croire en Dieu. Vous pouvez être un sophiste, un mauvais raisonneur, et par conséquent un écrivain pour le moins inutile, sans que je sois un athée. L'Être souverain nous jugera tous deux ; attendons humblement son arrêt. Il me semble que j'ai fait de mon mieux pour soutenir la cause de Dieu et de la vertu, mais avec moins de bile et d'emportement que vous. Ne craignez-vous pas que vos inutiles calomnies contre les philosophes et contre moi, ne vous rendent désagréable aux yeux de l'Être Suprême, comme vous l'êtes déjà aux yeux des hommes?
Les mots en sophie
• Anthroposophie. Enseignement basé sur une vision globale de l'homme dans la nature.
• Arithmosophie. Sciences des nombres sacrés.
• Gymnosophie. Doctrine des gymnosophistes.
• Gymnosophistes. Anciens philosophes hindous qui ne portaient pas de vêtements et menaient une vie d'ascètes contemplatifs.
• Philosophie. Étude des causes premières de la réalité et des valeurs qui fondent le rapport de l’homme au monde.
• Sophie. On ne connaît pas l'origine des expressions suivantes qui ont fait quelques misères au XIXe siècle au beau prénom féminin Sophie : faire sa Sophie (faire preuve d'affectation, faire des manières), voir Sophie (avoir ses règles), sophie (mot argotique qui désigne une prostituée qui joue les prudes).
• Sophisme. Faux raisonnement présenté intentionnellement comme vrai.
• Sophiste. Philosophe de l'Antiquité grecque qui pratiquait l'art de défendre n'importe quelle thèse par des raisonnements subtils.
• Sophisterie. Mot vieilli. Emploi de sophismes.
• Sophistication. S'emploie à propos du caractère artificiel d'une chose ou d'une personne.
• Sophistique. Nom : partie de la logique qui traite de l'emploi des sophismes dans l'argumentation. Adjectif : qui est de la nature du sophisme.
• Sophistiqué. Ce terme s'appliquait autrefois à ce qui était falsifié ; aujourd'hui à ce qui est affecté, recherché, sans naturel.
• Sophistiquer. Utiliser des argumentations sophistiques excessives.
• Sophistiquement. D'une manière sophistique.
• Sophistiqueur. Personne qui abuse des faux raisonnements.
• Théosophie. Doctrine qui part de Dieu pour aller à la nature concrète des choses. Antonyme de pansophie.
Commentaires
À propos de "tout" savoir, rendez-vous dans le billet de lundi prochain... Vendredi 16, comme régulièrement au milieu du mois, il y aura un billet illustré par Ydel.
Un homme lapidaire. Voltaire, je veux dire. ” Vous rendent désagréable aux yeux de l'Être Suprême, comme vous etes déjà dans les yeux des hommes”. Cela doit avoir endommagé!
“Tout est bien sortant des mains de l'Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l'homme.” Rosseau (Emile)
Deux pensées contraires : Voltaire pensait que l'éducation et la raison séparaient à l'homme de la bête, tandis que Rosseau croyait que c'étaient celles qui le corrompaient.
Parmi les philosophes, les “duels” sont partout:
Hobbes croyait que « l'homme est le loup de l'homme » tandis que Schoppenhuer pensait que « l'homme était une victime du monde » et il haïr l´idealisme de Hegel.
Moi (pas philosophe) je crois que la vérité c´est qu'il n'y a pas une seule vérité dans la vie et… c´est la vie, n´est pas? : “Cada cabeza es un mundo” (“Chaque tête est un monde”) on dit en espagnol).
“Tolérance” c´est le nom du jeu
“Tolerancia” es el nombre del juego
“Tolerance” is the name of the game
Mais, je crois que nous ne savons pas comme le jouer
J'ai oublié ajouter : les philosophes non plus.
Petit poème canaille en mémoire d'un ami passé à l'orient éternel:
A quoi penses-tu en jouant au bilboquet?
Je pansophie aux mille bouquets,
Je pansophie aux mille beaux culs.
On connaît mieux misonéisme, le fait de détester la nouveauté.
La lettre au docteur Pansophe me rappelle étrangement "Tartuffe" de Molière. Voltaire accuse Rousseau de soutenir la cause de Dieu avec beaucoup de zèle, et comme Molière, il lui oppose "les dévots de coeur, ceux dont les actes sont humains et discrets qui s'attaquent au péché et non pas aux pécheurs". Voltaire du XVIIIeS a été le Molière du XVIIeS dont il s'est inspiré.Qu'en pensez-vous?
La comparaison est d'autant plus juste que Le tartuffe était la pièce de Molière que Voltaire préférait. Voici ce qu'il en dit dans sa Vie de Molière :
L’IMPOSTEUR, OU LE TARTUFFE,
Joué sans interruption en public, le 5 février 1669.
On sait toutes les traverses que cet admirable ouvrage essuya. On en voit le détail dans la préface de l’auteur, au devant du Tartuffe.
Les trois premiers actes avaient été représentés à Versailles, devant le roi, le 12 mai 1664. Ce n’était pas la première fois que Louis XIV, qui sentait le prix des ouvrages de Molière, avait voulu les voir avant qu’ils fussent achevés; il fut fort content de ce commencement, et par conséquent la cour le fut aussi.
Il fut joué, le 29 novembre de la même année, au Raincy, devant le grand Condé. Dès lors les rivaux se réveillèrent; les dévots commencèrent à faire du bruit; les faux zélés (l’espèce d’hommes la plus dangereuse) crièrent contre Molière, et séduisirent même quelques gens de bien. Molière, voyant tant d’ennemis qui allaient attaquer sa personne encore plus que sa pièce, voulut laisser ces premières fureurs se calmer: il fut un an sans donner le Tartuffe; il le lisait seulement dans quelques maisons choisies, où la superstition ne dominait pas.
Molière, ayant opposé la protection et le zèle de ses amis aux cabales naissantes de ses ennemis, obtint du roi une permission verbale de jouer le Tartuffe. La première représentation en fut donc faite, à Paris, le 5 août 1667. Le lendemain, on allait la rejouer; l’assemblée était la plus nombreuse qu’on eût jamais vue; il y avait des dames de la première distinction aux troisièmes loges; les acteurs allaient commencer, lorsqu’il arriva un ordre du premier président du parlement, portant défense de jouer la pièce.
C’est à cette occasion qu’on prétend que Molière dit a l’assemblée: « Messieurs, nous allions vous donner le Tartuffe; mais monsieur le premier président ne veut pas qu’on le joue. »
Pendant qu’on supprimait cet ouvrage, qui était l’éloge de la vertu et la satire de la seule hypocrisie, on permit qu’on jouât sur le théâtre italien Scaramouche ermite, pièce très froide, si elle n’eût été licencieuse, dans laquelle un ermite vêtu en moine monte la nuit par une échelle à la fenêtre d’une femme mariée, et y reparaît de temps en temps en disant Questo è per mortificar la carne. On sait sur cela le mot du grand Condé : « Les comédiens italiens n’ont offensé que Dieu, mais les français ont offensé les dévots. » Au bout de quelque temps, Molière fut délivré de la persécution; il obtint un ordre du roi par écrit de représenter le Tartuffe. Les comédiens ses camarades voulurent que Molière eût toute sa vie deux parts dans le gain de la troupe, toutes les fois qu’on jouerait cette pièce; elle fut représentée trois mois de suite, et durera autant qu’il y aura en France du goût et des hypocrites.
Aujourd’hui, bien des gens regardent comme une leçon de morale cette même pièce qu’on trouvait autrefois si scandaleuse. On peut hardiment avancer que les discours de Cléante, dans lesquels la vertu vraie et éclairée est opposée à la dévotion imbécile d’Orgon, sont, à quelques expressions près, le plus fort et le plus élégant sermon que nous ayons en notre langue; et c’est peut-être ce qui révolta davantage ceux qui parlaient moins bien dans la chaire que Molière au théâtre.
Voyez surtout cet endroit :
Allez, tous vos discours ne me font point de peur
Je sais comme je parle, et le ciel voit mon cœur.
Il est de faux dévots ainsi que de faux braves, etc.
Presque tous les caractères de cette pièce sont originaux; il n’y en a aucun qui ne soit bon, et celui du Tartuffe est parfait. On admire la conduite de la pièce jusqu’au dénouement; on sent combien il est forcé, et combien les louanges du roi, quoique mal amenées, étaient nécessaires pour soutenir Molière contre ses ennemis.
Dans les premières représentations, l’imposteur se nommait Panulphe, et ce n’était qu’à la dernière scène qu’on apprenait son véritable nom de Tartuffe, sous lequel ses impostures étaient supposées être connues du roi. A cela près, la pièce était comme elle est aujourd’hui. Le changement le plus marqué qu’on y ait fait est à ce vers:
O ciel ! pardonne-moi la douleur qu’il me donne.
Il y avait:
O ciel ! pardonne-moi, comme je lui pardonne.
Qui croirait que le succès de cette admirable pièce eût été balancé par celui d’une comédie qu’on appelle la Femme juge et partie, qui fut jouée à l’hôtel de Bourgogne aussi longtemps que le Tartuffe au Palais-Royal? Montfleury, comédien de l’hôtel de Bourgogne, auteur de la Femme juge et partie, se croyait égal à Molière, et la préface qu’on a mise au devant du recueil de ce Montfleury avertit que Monsieur de Monfleury était un grand homme. Le succès de la Femme juge et partie, et de tant d’autres pièces médiocres, dépend uniquement d’une situation que le jeu d’un acteur fait valoir. On sait qu’au théâtre il faut peu de chose pour faire réussir ce qu’on méprise à la lecture. On représenta sur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, a la suite de la Femme juge et partie, la Critique du Tartuffe. Voici ce qu’on trouve dans le prologue de cette critique:
Molière plaît assez: c’est un bouffon plaisant,
Qui divertit le monde en le contrefaisant;
Ses grimaces souvent causent quelques surprises.
Toutes ses pièces sont d’agréables sottises:
Il est mauvais poète et bon comédien;
Il fait rire, et, de vrai, c’est tout ce qu’il fait bien.
On imprima contre lui vingt libelles. Un curé de Paris s’avilit jusqu’à composer une de ces brochures, dans laquelle il débutait par dire qu’il fallait brûler Molière. Voilà comme ce grand homme fut traité de son vivant l’approbation du public éclairé lui donnait une gloire qui le vengeait assez; mais qu’il est humiliant pour une nation, et triste pour les hommes de génie, que le petit nombre leur rende justice, taudis que le grand nombre les néglige ou les persécute !
Merci pour ces précisions. À mon tour, je verse un élément sur Voltaire au dossier.
Magnifique choix que celui du père Christian Delorme à l'occasion de ce mariage inter-religieux. Une prière que je ferai mienne car elle correspond parfaitement à l'idée que je me fais de l'humanité.
En me documentant sur l'affaire Calas, ce passage de Voltaire, après la réhabilitation de la famille Callas, me redonne confiance et foi en l'humanité:
" Nous versions des larmes d'attendrissement, le petit Calas et moi. Mes vieux yeux en fournissaient autant que les siens. C'est pourtant la philosophie toute seule qui a remporté cette victoire. Quand pourrait-elle écraser toutes les têtes de l'hydre du fanatisme?"
Merci, cher gardien, pour votre orientation judicieuse vers ce "texte-prière" de Voltaire. Ce fût un moment de grand réconfort.