Zéro, évidemment. J'ajoute « évidemment » car la dictée était plutôt facile, vous allez pouvoir en juger. Nous étions onze à avoir fait un sans faute sur trois cents personnes environ.

Noces d'or
par Éric-Emmanuel Schmitt

La partenaire de toute ma vie, c'est ma langue, la langue française. Certes, elle me domine, me résiste, m'échappe, me joue des tours ; je sais aussi qu'elle m'a précédé et qu'elle me survivra, me réduisant au rôle d'amant de passage ; je n'ignore pas non plus que je dois la partager chaque instant avec d'autres ; cependant, je ne désire pas d'autre compagne que celle-là ! Car, même si nous traversons des galères, notre passion va crescendo, forte, riche, souvent heureuse, rarement frustrante, jamais achevée. Elle m'offre des moments d'amour exceptionnels, des moments où, à l'issue d'un grand remue-méninges, ma pensée fusionne avec elle. Qui fait quoi ? Qui inspire qui ? Qui est le mentor ? Peu importe, le résultat se dessine sur la page : un texte juste, cohérent, sans boursouflure, clair, évident.

De temps en temps, épuisé par elle, je zappe et j'emploie un mot anglais ou italien ; à d'autres moments, nos rapports m'escagassent tant que je la fais taire : je prends mon baladeur et je la remplace par Mozart, Chopin ou Debussy. En période de crise, je menace même de la quitter, et là, je ne me contente plus du seul cheval de Troie que représente un terme étranger dans ma phrase française, je la lâche totalement pour fréquenter la langue italienne ou allemande.

Mais c'est toujours moi qui reviens à elle. Avec elle, je m'exprime ; avec les autres langues, je communique. Si, sur mon mobile ou mon ordinateur, je lis et j'écris en anglais, je ne formule pas mes sentiments en anglais, je ne ressens pas le monde en anglais, je n'imagine pas des histoires en anglais. Pour être moi-même, je dois me lover dans la langue française, épouser ses nuances, faire confiance à ses variantes. Cette année, nous fêtons nos cinquante ans ensemble depuis ma naissance à Lyon en 1960. Si elle le consent, je suis prêt à m'engager pour un siècle.