En ballade avec François Villon

François de Montcorbier, dit François Villon (1431-1463), voleur et poète de son état, utilise lui-même le terme et écrit onze ballades en  jobelin, dont six paraîtront dans la première édition imprimée de son œuvre (Pierre Levet, 1489). Il emprunte ce langage à une bande organisée de voleurs qui portent une coquille comme les pèlerins de St-Jacques afin de rassurer leur victimes. lls se désignent eux-mêmes sous le nom de coquillards. Ils parlent une langue qui leur permet de se comprendre, le jobelin. L’esprit est différent de celui de la langue des oiseaux mais l’intention est la même, se comprendre entre initiés. Dirigée par le Roi de la Coquille, savamment hiérarchisée, la bande sévit sur tout le territoire français mais plus particulièrement en Bourgogne. Soixante de ses membres sont arrêtés à Dijon en 1455 et traduits devant un tribunal. Le procureur découvre alors qu’ « ils ont entr’eulx un langage exquiz que les autres gens ne sçavent pas entendre ».

On ne sait pas avec certitude si Villon, appartient à leur bande, ou s’il se contente de les fréquenter. Toujours est-il qu’il emprunte leur langage :

Coquillars arvans à Ruel,
Men ys vous chante que gardez
Que n’y laissez et corps et pel,
Comme fist Collin l’escollier.
Devant la roe à babiller
Il babigna pour son salut.
Pas ne sçavoit oingnons peller,
Dont l’emboureux lui rompt le suc.

Changez vos andosses souvent,
Et tirez tout de raiz au temple ;
Et eschequez tost, en brouant,
Qu’en la jarte ne soiez emple ;
Montigny y fut par exemple,
Bien ataché au hallegrup ;
Et y jargonnast il le tremple,
Dont l’emboureux lui rompt le suc.

Gaillieurs faitz en piperie
Pour ruer les ninars au foin,
A l’assault tost, sans suerie.
Que le mignon ne soit au gaing
Farciz d’un lourd plumbis à coing
Qui serre et griffe au gart le duc,
Et de la dure si tres loing,
Dont l’emboureux lui rompt le suc.

Princes, arrière de Ruel !
Et n’eussiez vous denier ne pluc,
Qu’au giffle ne laissez la pel
Pour l’emboureux qui rompt le suc.


Traduit en français d'aujourd'hui ce langage ne saurait nous laisser de marbre :

Coquillards qui vous ébattez à Rueil,
Je vous chante d’éviter ma porte
De peur d’y laisser corps et peau
Comme fit Colin l’écolier.
Devant la roue de torture
Il supplia pour son salut.
Il ne savait pas peler les oignons
Dont le bourreau lui rompt le suc (1).

Changez souvent de pourpoints,
Et métamorphosez-vous des pieds à la tête
Et gardez-vous tout en courant
D’être trop larges du garrot.
Montigny (1) y fut, par exemple,
Bien attaché au gibet
Et y jargonna en tremblant
Dont le bourreau lui rompt le suc.

Trompeurs consommés en piperie
Pour dépister les niais,
À l’assaut, vite sans effroi
De peur que le compagnon n’ait pour tout gain de se trouver
Farci d’une longue chaine plombée
Qui serre et fixe au jardin l’oiseau de nuit (3)
Et l’enlève loin de la terre,
Dont le bourreau lui rompt le suc.

Princes, retirez-vous de Rueil,
N’eussiez-vous argent ni pitance,
Ne laissez pas au gibet votre peau
Pour le bourreau qui rompt le suc.

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(1) Le cou.
(2) Régnier de Montigny, fils d'un panetier (officier chargé du pain) du roi, né  vers 1429, s'affilia aux coquillards et fut pendu en 1457.
(3) Le pendu.