Le Garde-mots

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lundi 4 janvier 2010

La Demeure du Chaos

L’art dérange, sinon il ne mériterait pas son nom. Bach dérange avec sa musique si bien mesurée ; Mozart dérange par la justesse de ses notes ; Rimbaud hurle à nos oreilles ; Picasso dérange en empruntant, tel un dieu, le chemin de la création ; Dalí dérange car son trait est classique ;  l'hyperréalisme déréalise ; l'abstraction dérange car elle interpelle notre inconscient.  L’art nous interdit de vivre dans le consensus.

La Demeure du Chaos, située à Saint-Romain-au-Mont-d'Or, près de Lyon, est un musée dont on ne sort pas indemne. Il accueille (gratuitement) un millier de visiteurs chaque fin de semaine (il n'est ouvert que le samedi et le dimanche). Depuis sa création le 9 décembre 1999 - deux ans avant l’attentat du 11 septembre… - la Mairie de ce village bien tranquille exige par tous les moyens sa disparition, ce qui, d’ailleurs, contribue grandement à sa notoriété. Autrement dit son initiateur, Thierry Ehrmann, fondateur du site Artprice, numéro un mondial de l'information sur le marché de l'art, est sommé de détruire sa destruction. Car ce dont il est question ici c’est d’ériger en œuvre d’art la démolition progressive de cet ancien relais de poste établi sur les ruines d’un temple protestant [1].

Bienvenue dans la machine à déconstruire

S’agit-il vraiment d’une démarche artistique ? Il est certain que l’on n’entre pas dans une maison comme les autres, mais dans un décor de 12 000 m², qui se présente comme une métaphore de l’Apocalypse. Plus de 3000 œuvres, dans cet enfer noir et rouge à ciel ouvert, réalisées par une quarantaine d’artistes parmi lesquels le plus connu du grand public est Ben. Au hasard du circuit chaotique on découvre les ruines du World Trade Center, une carcasse d'hélicoptère, des voitures calcinées, les portraits de Ben Laden, du Dalaï-Lama, de l’insupportable Mahmoud Ahmadinejad, des vestiges de météorite, des murs éventrés, des signes et aphorismes alchimiques (« Le maître est là et il t’attend. »), le nombre 999 (qui naturellement peut se retourner en 666, le nombre de la bête). Sans compter divers slogans qui ne laissent pas indifférent : « Je suis l'homme que vous aimerez détester et que vous détesterez aimer. », « lI n'y a pas de plan B pour la planète ! », « Avec la Demeure du Chaos, la fête des voisins c'est 365 jours par an ! ») On se croirait dans le premier film de Luc Besson, Le dernier Combat. Il ne manque qu’une bombe atomique en ordre de marche pour que le réalisme soit parfait.

La Terre est bleue comme une orange pourrie

Pourquoi serions-nous choqués ? La démarche primordiale, essentielle, on peut même dire vitale de Thierry Ehrmann est de contester ce que nous faisons de notre planète. L’état de désolation dans lequel il met sa maison n’est autre que la métaphore en quatre dimensions de ce qui se passe dans la réalité du monde. Quand il nous donne à voir un bateau ivre en partance pour la mer d’Aral, alors qu’on sait que celle-ci se dessèche, il émet une protestation sur laquelle nous n’avons aucun droit moral, et surtout pas celui de protester. Double contrainte que connaissent tous les opprimés : je suis victime et je dois me taire. Cette noblesse de la cause perdue appliquée à six milliards d’individus et une maison est complètement insupportable. Thierry Ehrmann nous montre la confusion universelle mais aussi celle qui règne dans notre esprit. À partir de là il y a ceux qui acceptent d'être dérangés et les autres, tout aussi nécessaires, d'ailleurs, à la réussite du projet. Que serait cette maison éventrée si le maire de la localité restait passif ? Elle resterait ce qu'elle est, c'est-à-dire une œuvre d'art décalée dans une banlieue chic. Elle confirme ainsi son statut de manifeste artistique.

Plus loin, plus fort

Les idées ne manquent pas pour aller plus loin. Thierry Ehrmann doit refuser l’accès de ses gravats à toute personne vaccinée contre le tétanos, prévendre des billets pour la fin du monde, fonder la Bourse du Chaos et l'attribuer à des jeunes artistes sans avenir, créer un club très sélect où les chefs d’État et les gamins perdus des banlieues pourraient se rencontrer, autrement que par flics interposés, faire tourner les tables d’écoute, inviter des artistes de renom à venir en personne détruire leurs œuvres devant la presse, racheter le musée du Louvre et l’envoyer pièce par pièce sur la planète Mars afin de préparer le XXIIe siècle, militer en faveur d’une note supplémentaire dans la gamme, nommer Ben Laden gardien de ce champ de ruines, poser sa candidature à l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Romain-au-Mont-d'Or. Bien que l’avenir n’existe plus il devrait également opérer une diversification horizontale de ses affaires. On peut lui suggérer de construire une usine d’incinération des ordures économiques, une usine de diables, créer un site d’évaluation du marché des cimetières, être le mécène des artistes poseurs de bombe, créer une association de visiteurs de prison de l’esprit, donner des cours de malédiction.

Il faut aussi lui faire promettre de détruire son musée au cas où, un jour, la planète fonctionnerait correctement.
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[1] Je n'entrerai ici ni dans la polémique judiciaire en cours, ni dans le problème de voisinage que pose la Demeure du Chaos.

Mur peint

Hélicoptère

Ordre de destruction

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vendredi 3 juillet 2009

Empreinte écologique

Papillon
Superficie du globe terrestre nécessaire à une population pour répondre à ses besoins, autrement dit à sa consommation de biens et services ainsi qu'à l’évacuation de ses déchets. Cet indicateur, décrit par le professeur William Rees de l'Université de Colombie-Britannique à Vancouver et son élève Mathis Wackernagel dans les années 1990, se mesure en hectares par personne, par ville ou par pays. Il permet d’évaluer la consommation humaine de ressources naturelles en fonction du mode de vie et des techniques de production. Il est le témoin de la pression exercée par l'homme sur la nature et ses écosystèmes.

En 2001 (l’année la plus récente pour laquelle des données sont disponibles), la biosphère possédait 11,3 milliards d’hectares  productifs, soit 2,3 milliards d’hectares d’eau (océans et eaux intérieures) et 9 milliards d’hectares de terre (1,5 milliards de terres cultivées ; 3,5 milliards d’hectares de pâturages ; 3,9 milliards d’hectares de forêts ; 0,2 milliard d’hectares de terrains construits), soit environ un quart de la surface de la planète. Les trois-quarts restant (déserts, calottes glaciaires, océans à grands fonds) ont de faibles niveaux de bioproductivité.

L’empreinte moyenne d’un français est de 5,3 hectares, elle excède de 62 % sa biocapacité (capacité utilisable  d’une surface biologiquement productive pour une année donnée). Par comparaison, celle d’un nord-américain est de 9,6 ha et celle d’un africain de 1,3 ha. On a calculé que si tout le monde vivait comme un européen il faudrait presque 3 planètes Terre pour subvenir aux besoins des hommes. L’empreinte écologique par habitant ne devrait pas dépasser 1,8 hectares, alors que ce chiffre a été atteint en 1976 et largement dépassé depuis.

Notre système économique en perpétuelle expansion nous amène à consommer plus que ce que la Terre peut nous offrir. Il a sans cesse besoin de nouvelles ressources énergétiques, lesquelles sont, par définition, limitées. Nous n’avons qu’une Terre, ce qui fait que la croissance linéaire est un non-sens. La gouvernance globale du monde doit raisonner et agir en tenant compte de  la notion de développement durable mais également  de l'indicateur essentiel que constitue l'empreinte écologique.

Sauvons la planète. Il est plus que temps d'instituer la décroissance, du moins celle qui renonce à exploiter à outrance les matières premières. Elle seule permettra l'accès à la nourriture, à  l'éducation, à la santé, à la communication, à la culture, à la sécurité et au bien-être de l'ensemble des êtres humains. La production et la consommation doivent être encadrées, alors qu'actuellement ce sont elles qui mènent le monde. Produire sans détruire, respecter le rythme de la nature, telle est la direction que nous devons suivre. Nicolas Hulot nous le rappelle : « Il faut trouver des outils de régulation qui, tout en maintenant une activité nécessaire au besoin de la société,  engagent une décroissance de l’utilisation des ressources naturelles, des flux de matière et d’énergie,  des déplacements, c’est-à-dire de l’impact écologique global. »

Le gardien a bien une petite idée, mais ne sait pas si elle tient la route. À l'instar du grand bouleversement qui, en 1905 en France, enflamma les esprits et redistribua  la démocratie, la séparation de l'Église et de l'État, il est partisan de la séparation de l'Économie et de la Politique. Comme vous pouvez le constater la peur n'empêche pas la naïveté.