Le Garde-mots

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vendredi 1 juin 2012

Je suis toujours jamais là

Je ne suis ni un escargot, ni un forain, ni un adepte de la toile de tente et pourtant ma maison n'est jamais au même endroit. C'est une maison comme les autres. On y entre et on en sort comme on veut, le tout est de savoir où elle est.

Ma maison n'existe qu'en dimension cachée. Je l'ai bâtie partout et nulle part, à tous les vents et tous les mystères, dans les entrailles du hasard ou sous les neiges de l'esprit. Elle a quatre murs et un toit mais personne ne l'a jamais bâtie même si j'en suis l'architexte. Personne n'y est jamais entré, personne n'en est jamais sorti. Certains en font le tour sans la voir, d'autres devinent sa présence mais personne ne songe à fermer les yeux pour mieux l'apercevoir.

ll est permis de l'imaginer, à condition d'avoir des pensées vagabondes et du temps à perdre. Je ne peux dire combien, si c'est un peu ou si c'est beaucoup, si c'est maintenant ou ailleurs, ici ou pour toujours. S'il faut s'attendre au pire ou au meilleur quand on la cherche. En tout cas elle s'inscrit dans un monde sans atomes. C'est la raison pour laquelle vous ne saurez jamais si vous aurez la chance d'y entrer un jour. Il faudrait, pour cela, une longue préparation, un goût pour le sacrifice et la fraternité du hasard.

Je vous le dis tout net : c'est la maison des rêves. Des amours, de la rencontre, d'un art impossible et du nom qu'on me donnerait si l'on pouvait m'y rejoindre. Elle est construite avec des mots et des prières et l'accueil y est chaleureux.

Si c'est une chimère c'est que rien n'a d'importance. Et pourtant vous devez admettre que vous ne l'avez pas inventée, sinon l'empreinte du monde est improbable, et même sans fondement. D'ailleurs je ne sais pas d'où je vous parle. Parfois je me demande si j'existe.

lundi 4 janvier 2010

La Demeure du Chaos

L’art dérange, sinon il ne mériterait pas son nom. Bach dérange avec sa musique si bien mesurée ; Mozart dérange par la justesse de ses notes ; Rimbaud hurle à nos oreilles ; Picasso dérange en empruntant, tel un dieu, le chemin de la création ; Dalí dérange car son trait est classique ;  l'hyperréalisme déréalise ; l'abstraction dérange car elle interpelle notre inconscient.  L’art nous interdit de vivre dans le consensus.

La Demeure du Chaos, située à Saint-Romain-au-Mont-d'Or, près de Lyon, est un musée dont on ne sort pas indemne. Il accueille (gratuitement) un millier de visiteurs chaque fin de semaine (il n'est ouvert que le samedi et le dimanche). Depuis sa création le 9 décembre 1999 - deux ans avant l’attentat du 11 septembre… - la Mairie de ce village bien tranquille exige par tous les moyens sa disparition, ce qui, d’ailleurs, contribue grandement à sa notoriété. Autrement dit son initiateur, Thierry Ehrmann, fondateur du site Artprice, numéro un mondial de l'information sur le marché de l'art, est sommé de détruire sa destruction. Car ce dont il est question ici c’est d’ériger en œuvre d’art la démolition progressive de cet ancien relais de poste établi sur les ruines d’un temple protestant [1].

Bienvenue dans la machine à déconstruire

S’agit-il vraiment d’une démarche artistique ? Il est certain que l’on n’entre pas dans une maison comme les autres, mais dans un décor de 12 000 m², qui se présente comme une métaphore de l’Apocalypse. Plus de 3000 œuvres, dans cet enfer noir et rouge à ciel ouvert, réalisées par une quarantaine d’artistes parmi lesquels le plus connu du grand public est Ben. Au hasard du circuit chaotique on découvre les ruines du World Trade Center, une carcasse d'hélicoptère, des voitures calcinées, les portraits de Ben Laden, du Dalaï-Lama, de l’insupportable Mahmoud Ahmadinejad, des vestiges de météorite, des murs éventrés, des signes et aphorismes alchimiques (« Le maître est là et il t’attend. »), le nombre 999 (qui naturellement peut se retourner en 666, le nombre de la bête). Sans compter divers slogans qui ne laissent pas indifférent : « Je suis l'homme que vous aimerez détester et que vous détesterez aimer. », « lI n'y a pas de plan B pour la planète ! », « Avec la Demeure du Chaos, la fête des voisins c'est 365 jours par an ! ») On se croirait dans le premier film de Luc Besson, Le dernier Combat. Il ne manque qu’une bombe atomique en ordre de marche pour que le réalisme soit parfait.

La Terre est bleue comme une orange pourrie

Pourquoi serions-nous choqués ? La démarche primordiale, essentielle, on peut même dire vitale de Thierry Ehrmann est de contester ce que nous faisons de notre planète. L’état de désolation dans lequel il met sa maison n’est autre que la métaphore en quatre dimensions de ce qui se passe dans la réalité du monde. Quand il nous donne à voir un bateau ivre en partance pour la mer d’Aral, alors qu’on sait que celle-ci se dessèche, il émet une protestation sur laquelle nous n’avons aucun droit moral, et surtout pas celui de protester. Double contrainte que connaissent tous les opprimés : je suis victime et je dois me taire. Cette noblesse de la cause perdue appliquée à six milliards d’individus et une maison est complètement insupportable. Thierry Ehrmann nous montre la confusion universelle mais aussi celle qui règne dans notre esprit. À partir de là il y a ceux qui acceptent d'être dérangés et les autres, tout aussi nécessaires, d'ailleurs, à la réussite du projet. Que serait cette maison éventrée si le maire de la localité restait passif ? Elle resterait ce qu'elle est, c'est-à-dire une œuvre d'art décalée dans une banlieue chic. Elle confirme ainsi son statut de manifeste artistique.

Plus loin, plus fort

Les idées ne manquent pas pour aller plus loin. Thierry Ehrmann doit refuser l’accès de ses gravats à toute personne vaccinée contre le tétanos, prévendre des billets pour la fin du monde, fonder la Bourse du Chaos et l'attribuer à des jeunes artistes sans avenir, créer un club très sélect où les chefs d’État et les gamins perdus des banlieues pourraient se rencontrer, autrement que par flics interposés, faire tourner les tables d’écoute, inviter des artistes de renom à venir en personne détruire leurs œuvres devant la presse, racheter le musée du Louvre et l’envoyer pièce par pièce sur la planète Mars afin de préparer le XXIIe siècle, militer en faveur d’une note supplémentaire dans la gamme, nommer Ben Laden gardien de ce champ de ruines, poser sa candidature à l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Romain-au-Mont-d'Or. Bien que l’avenir n’existe plus il devrait également opérer une diversification horizontale de ses affaires. On peut lui suggérer de construire une usine d’incinération des ordures économiques, une usine de diables, créer un site d’évaluation du marché des cimetières, être le mécène des artistes poseurs de bombe, créer une association de visiteurs de prison de l’esprit, donner des cours de malédiction.

Il faut aussi lui faire promettre de détruire son musée au cas où, un jour, la planète fonctionnerait correctement.
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[1] Je n'entrerai ici ni dans la polémique judiciaire en cours, ni dans le problème de voisinage que pose la Demeure du Chaos.

Mur peint

Hélicoptère

Ordre de destruction

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vendredi 29 février 2008

Les maisons sans escalier

maisonsansescalier
Curiosité architecturale

La ville de Saint-Étienne possède - entre autres joyaux - deux maisons d'aspect extérieur hexagonal, construites en 1933 et 1940. Elles ont une autre particularité : il est possible de sortir de chez soi à vélo, même si on habite au 5e étage. Leurs 35 appartements sont desservis par une rampe en spirale de faible pente, d’1,70 m de large, tournant autour d’un grand vide central, comme au musée Guggenheim de New York qui date des années 50. La première maison porte le nom de chalet Bizillon par référence au cabaret qui existait auparavant sur son terrain.

Auguste Bossu, leur architecte, avait une conception humaniste de son œuvre. Il écrivit dans le prospectus de présentation de la copropriété : "L'escalier est un moyen barbare de monter les étages. Les marches imposent à tous le même pas : aux enfants comme aux vieillards, aux malades comme aux bien portants. Avec notre montée par galerie en plan incliné, chacun fait le pas qui lui convient, long ou court, rapide ou lent, comme on le fait sur le trottoir. "

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