L’histoire de la langue française peut être abordée de deux manières :
- d’un point de vue externe, c’est-à-dire par l’étude des rapports entre la langue et la population qui l’utilise ;
- d’un point de vue interne, c’est-à-dire en décrivant l’évolution des mots, de la syntaxe, de la prononciation, etc.

C’est la première manière, sociolinguistique, que nous choisissons de survoler ici, plutôt que la seconde, plus technique. Nous verrons comment notre langue s’est donné progressivement, au cours de l’histoire, une certaine homogénéité pour devenir la langue unique, utilisée sur l'ensemble du territoire français. Par souci de clarté nous n’aborderons que le français tel qu’il s'est constitué puis a évolué en France, laissant de côté, même si cela fait partie du sujet, l’histoire de notre langue dans les autres pays d’expression française.


Le gaulois

L'histoire du territoire sur lequel la France est établie, la Gaule, commence avec les Celtes, organisés en tribus guerrières venues probablement du Caucase et de la mer Noire. Ils envahirent l'Europe occidentale entre le VIIe et le Ve siècle avant notre ère. Ce sont eux que l’on qualifiait autrefois de « Nos ancêtres les gaulois ». Leur langue était variable selon les territoires concernés, mais l’on peut, par souci de simplification, l’appeler le gaulois car les diverses tribus pouvaient se comprendre.


Le latin

Les Romains envahirent la Gaule sous la conduite de Jules César de 58 à 51 av. J.-C. Ils n'imposèrent pas directement leur langue, le latin, aux vaincus. Ils se contentèrent d’ignorer les langues qu’ils appelaient barbares et s'organisèrent pour que le latin devint indispensable en tant que langue de promotion sociale. Ceux qui aspiraient à la citoyenneté romaine devaient adopter les habitudes, le genre de vie, la religion et la langue de Rome. C’est ce qu’on appelle la romanisation. La fondation d'écoles latines imposa l'écriture et l'alphabet romains, ce qui nuisit à la tradition orale gauloise, laquelle ne put résister que faiblement. La Gaule vécut d'abord sous le règne du bilinguisme latino-celtique puis l'unilinguisme prévalut sous la forme du latin vulgaire (de vulgus, peuple), celui que parlaient au quotidien les colons romains et les autochtones assimilés, autrement dit un latin régional. Au Ve siècle les diverses langues gauloises avaient disparu. Avant de s'éteindre elles transmirent au latin (et par son intermédiaire au français actuel) quelque 70 mots.


Le roman

Le latin vulgaire de l’époque évolue en douceur vers ce qu’on appelle le roman (c’est-à-dire la langue des Romains), tandis que, par cet effet, le latin classique devient peu à peu une langue « morte », réservée à l'expression soutenue et à l'enseignement. En simplifiant les déclinaisons qu'il contient encore et en se dotant d'articles, aussi bien définis qu’indéfinis, ainsi que du conditionnel le roman se construit une grammaire originale.

À partir de 375 diverses hordes germaniques envahissent à leur tour l’empire romain d’Occident et provoquent sa chute. Parmi elles les Francs (Franken, mot qui signifie « libres ») prennent le nord de la Gaule et de la Germanie, générant ainsi peu à peu la langue d’oïl, tandis les Wisigoths occupent l'Espagne et le sud de la Gaule et seront à l’origine de la langue d’oc. Les Burgondes, de leur côté, occupent le sud-est du territoire. Clovis, fondateur du royaume franc, bat le dernier représentant romain à Soissons en 486 et se convertit au catholicisme. Il parle le francique, un dialecte germanique, langue qui fournira plus de 500 mots au futur français (y compris son nom), mais c’est la langue des vaincus, le roman qui va peu à peu prévaloir. Cependant il est variable selon les régions : les gens du peuple sont tous unilingues et parlent l'un ou l'autre des 600 ou 700 dialectes romans en usage en Gaule.

La coexistence du roman et du francique explique peut-être pourquoi les Serments de Strasbourg (842), faits entre les petits-fils de Charlemagne, qui se disputent l'Empire, sont écrits dans les deux langues : Charles le Chauve (823-877) et Louis le Germanique (806-876) se promettent mutuelle assistance  contre les entreprises de leur frère Lothaire (795-855), possédé par l'esprit de conquête. Les signataires s’expriment dans la langue maternelle de l'autre. En tout cas ce document, qui nous est connu par un contemporain, Nithard, lui aussi petit-fils de Charlemagne, est le premier texte écrit en langue romane (le futur français) et en langue germanique. Les historiens considèrent que les Serments de Strasbourg constituent l'acte de naissance du français. Le premier texte littéraire en français se nomme la Séquence (ou Cantilène) de sainte Eulalie. Il s'agit d'un poème de 29 vers compo- sé vers 880 qui raconte le martyre de la sainte.


L'ancien français

Jusqu’au Xe siècle, les rois de France parlaient le francique. En 987, Hugues Capet fut élu et couronné roi du petit royaume d'Île-de-France, centré autour de Paris, Orléans et Senlis. Il fut le premier souverain à ne savoir s'exprimer qu'en langue vernaculaire romane, et à avoir besoin d’un interprète pour comprendre la langue d’origine germanique. En 1119 le roi Louis VI (qui régna de 1108 à 1137) se proclama, dans une lettre au pape Calixte II, « roi de la France », non plus « roi des Francs », et aussi « fils particulier de l’Église romaine ». C'est le premier texte où il est fait référence au mot France. D'où le mot français, en réalité françois à l’époque, nommé francien par les romanistes de la fin du XIXe siècle, ou encore ancien français selon la terminologie actuelle.

À l’avènement de Louis IX (saint Louis, 1226) l'unification linguistique par l'ancien français était prépondérante, même s’il n’était pas uniformément répandu. On ne le parlait qu'à Paris et dans sa région, berceau historique de ce dialecte de la langue d'oïl qui deviendra au fil des siècles la source principale de notre français actuel, ainsi qu'en province au sein des classes aristocratiques. Le latin, lui, s’était réfugié dans les églises, où il était devenu la langue liturgique, et dans les universités, où la création lexicale était permanente : c'est ainsi que le latin médiéval continua à féconder le français.
 

Le moyen français

Les linguistes nomment moyen français la langue parlée à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance. À partir de Philippe le Bel (1268-1314), on s'est mis à employer le français pour les actes officiels, dans les parlements régionaux et la chancellerie royale. L'événement historique le plus important à cet égard fut l’ordonnance royale de François Ier en 1539, dite « ordonnance de Villers-Cotterêts ». Cet édit, signé par le roi éponyme de la langue du royaume dans son château de Villers-Cotterêts, imposait, dans deux de ses articles, le français comme langue administrative au lieu du latin. Le droit devait désormais être écrit en français ce qui constituait une décision importante pour l'unification du royaume et le renforcement du pouvoir central. Le même édit obligeait les curés de chaque paroisse à tenir un registre des naissances : ce fut le début de l'état civil. Cette mesure royale fit ainsi du français la langue de l’État, mais elle n’était point dirigée contre les parlers locaux, juste contre le latin d’Église, ce qui concernait également l’enseignement de la Sorbonne, peuplée d’ecclésiastiques. L'Église résista obstinément à cette réforme.

La Renaissance est la période de l’avènement de l’imprimerie, laquelle contribua de façon importante à la diffusion du français : il parut plus rentable aux imprimeurs de publier en français plutôt qu'en latin en raison du nombre plus important des lecteurs en cette langue. Il semble d’ailleurs que les lettrés laissèrent aux typographes le soin d'écrire le français comme ils le jugeaient bon, et donc de fixer l’orthographe. Le XVIe siècle est également celui de l'apparition des dictionnaires imprimés, qui vont contribuer à fixer la langue.

Les membres de la Pléiade, sous la conduite de Joachim Du Bellay, qui signa en 1549 une Défense et illustration de la langue française, constatèrent que la langue française était pauvre et non adaptée à l’expression poétique. Ils décidèrent de l’enrichir par la création de néologismes issus du latin, du grec et des langues régionales. Ils jouèrent indiscutablement un rôle dans la maturation du français.

Après le foisonnement, vient le temps de la rigueur classique annoncée en avant-première par François de Malherbe (1555-1628). Poète mais aussi grammairien, il est le champion de la rigueur, de la pureté et de la clarté. Il veut fixer la langue française dans sa forme parfaite. « Enfin Malherbe vint… »  écrit Boileau en hommage à son œuvre.


Le XVIIe siècle

Le XVIIe siècle est l'époque de la stabilisation du français, même si ce n'est encore qu'une langue officielle à diffusion restreinte, parlée par moins d'un million de Français sur une population totale de 20 millions. Il s’agit des nobles (4000 personnes), des bourgeois et des grands commerçants. L'Académie française, créée par Richelieu en 1635, est chargée de rédiger un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique, et de veiller sur l’orthographe et la prononciation de la langue française. Il faut voir là, parmi d’autres actions, un moyen de renforcer le pouvoir central.  Seul le dictionnaire verra le jour en 1694.

Le Discours de la méthode (1637) de René Descartes constitue un point de repère important dans l'histoire de la langue, dans la mesure où il s'agit d'un des premiers essais philosophiques écrits en français et non en latin. Le peuple était gardé dans l’ignorance : l’essentiel de l'enseignement demeurait celui de la religion, qui se faisait généralement en patois, donc dans une langue essentiellement orale pratiquée dans une localité précise, loin de tout caractère péjoratif du mot, ou en latin.

Les grammairiens, à cette époque, règnent en maîtres sur la langue française, avec au premier rang Claude Favre de Vaugelas, (1585-1659), auteur en 1647 de Remarques sur la langue française utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire. Ils épurent la langue française de ce qu’ils appellent « les mots bas » : italianismes, archaïsmes, provincialismes, et même des termes techniques et savants.

Le XVIIIe siècle

Au cours du siècle des Lumières le français devint la langue diplomatique par excellence, précisément à partir du Traité de Rastadt (1714) qui met fin à la guerre de Succession d'Espagne, et il le restera jusqu'au Traité de Versailles (1919). Dans les collèges et universités, l'Église persiste à utiliser le latin.  Le peuple ne reçoit pas d’enseignement, de telle sorte que les paysans peuvent rester derrière leur charrue. On estime qu'à la veille de la Révolution française, un quart seulement de la population française parlait français, le reste pratiquait les langues régionales : au nord les parlers d'oïl, au sud les parlers d'oc, formes régionales de l'occitan, ainsi que le breton, le basque, le catalan, le franco-provençal (le parler de la Franche-Comté, de Lyon, de la Suisse romande et de la Savoie), le flamand, l'alsacien entre autres.

Lors de la Révolution la bourgeoisie, après avoir conquis le pouvoir, imposa sa langue d'usage, c'est-à-dire le français. Il fallait lutter contre le particularisme des anciennes provinces et le morcellement linguistique, et doter la République une et indivisible d'une langue susceptible de conforter l'unité nationale et l'égalité des citoyens. Les révolutionnaires déclarèrent la guerre aux patois. L’abbé Henri-Baptiste Grégoire (1750-1831), publia en 1794 son fameux Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française. Il y regrettait que la France en fut encore « à la tour de Babel », alors qu’elle formait « l'avant-garde des nations ». Il y désignait le français comme une « langue » et tous les autres modes d’expression étaient qualifiés de patois ou d’idiomes féodaux. Un décret du 2 Thermidor (20 juillet 1794) établit, en quelque sorte, la terreur linguistique. Sur une proposition du député Bertrand Barère, la Convention décida que le français serait la langue obligatoire pour les actes officiels. À partir de ce moment, les patois locaux furent littéralement pourchassés. Ainsi la Révolution a-t-elle réussi à unir les concepts de langue et de nation.


Le XIXe siècle

En revanche, Napoléon 1er, de langue maternelle corse, ne fit aucun effort en faveur du français. Il abandonna les écoles à l'Église, laquelle privilégia l’enseignement du latin. Il rétablit cependant l'Académie française qui avait été supprimée pendant la Révolution.

Le XIXe siècle est avant tout le siècle du progrès industriel et scientifique, d'où, à cette époque, un grand enrichissement du vocabulaire français en fonction des besoins, ce qui s'est traduit par une série de dictionnaires  que nous connaissons encore aujourd'hui (Littré, Larousse, etc.). Le rôle de l’Instruction publique est également important. La loi Guizot (1833) organise l'enseignement primaire. La loi Ferry (1881), institue l'école obligatoire et gratuite, et impose ainsi  le français sur tout le territoire. L’école joue un rôle important dans la régression des divers patois, allant jusqu’à soumettre à des punitions les enfants qui prononçaient des mots de patois en classe. À la fin du XIXe siècle, le français était à peu près tel que nous le pratiquons.


Aujourd'hui

Le français est parlé par environ 184 millions de personnes (soit environ 2,7% de la population mondiale, ce qui le place au onzième rang) et enseigné sur les cinq continents. C’est une des six langues officielles et une des deux langues de travail (avec l'anglais) de l'Organisation des Nations Unies, et aussi une importante langue de la diplomatie internationale.

En ce qui concerne la France métropolitaine il faut remarquer que le français contemporain est à la fois notre langue maternelle, notre langue de culture et notre langue officielle, ce qui n'a pas toujours été le cas. Il est, certes, normalisé sans qu'on puisse dire pour autant qu'il soit uniforme, comme en témoignent les variations régionales de Lille à Marseille et de Brest à Strasbourg. Cependant la compréhension mutuelle est préservée. Les circonstances ont également une influence sur la manière dont on l'utilise :  pour un même individu le français parlé et le français écrit, le français soigné et le français populaire, le français public et le français privé ne sont pas superposables. Les patois ont disparu, en tout cas dans l'usage courant qui en était fait dans certaines régions jusque dans les années 50.

Pour l'amour de la langue française

D’un point de vue dynamique, l’histoire sociale de la France est indissociable de l'histoire structurelle et littéraire de sa langue. Depuis douze siècles de grands faits historiques et politiques ont eu une influence décisive sur son évolution. De grands écrivains ont également contribué à la façonner.  Au même titre que notre famille, notre milieu socioculturel et nos enseignants les écrivains ont une influence sur le français que nous employons. Ne le qualifie-t-on pas de « langue de Molière » ?