Au Moyen Âge l'ergotisme touchait des milliers
de personnes. Cette maladie se traduisait par des crampes, une perte de la
sensibilité des extrémités (en particulier du bout des doigts), de la gangrène,
des convulsions, des hallucinations. Les victimes éprouvaient des sensations de
brûlure, d'où les noms populaires de
feu Saint-Antoine (par allusion
aux tentatives du Diable d'entraîner saint Antoine en enfer),
feu
sacré,
mal des ardents (du latin
ardere, être en feu,
brûler). Le noircissement des membres et les brûlures étaient censés punir les
personnes atteintes à cause des péchés qu’elles avaient commis et préfigurer
l'enfer. Les Antonins les recueillaient dans leurs monastères.
Les épidémies étaient dues à un champignon,
Claviceps purpurea, qui se
développe, pendant les années pluvieuses, sur les fleurs de seigle et autres
céréales. Il forme des filaments qui s’agglomèrent en un tissu dense recouvert
d’une écorce violacée visible à l'œil nu. L’ensemble a une forme allongée et
recourbée comme l’ergot du coq, d'où le nom
vernaculaire d'
ergot de
seigle. L'affection se produisait quand les gens consommaient du pain
"ergoté", c'est-à-dire non débarrassé du parasite.
On sait actuellement que le produit contracte les fibres musculaires, en
particulier celles des artères, ce qui explique aussi bien sa toxicité que ses
possibilités thérapeutiques. Les sages-femmes l'utilisaient à faible dose pour
accélérer les accouchements et arrêter les pertes de sang. Elles l’employèrent
d’abord secrètement, puis finirent par révéler son existence aux médecins à la
fin du XVIIIe siècle.
De nos jours la farine est très contrôlée et il n'y a pas lieu de craindre le
retour d’une telle épidémie. On a parlé pour la dernière fois en France de
l'ergot de seigle en août 1951. A l'époque un boulanger de Pont-Saint-Esprit
(Gard) fut accusé d'avoir empoisonné 250 personnes et provoqué 6 décès. Les
journaux affirmaient qu'il s'agissait d'un retour de l'ergotisme. Les médecins
finirent par comprendre qu'un composé mercuriel avait été utilisé pour
désinfecter les grains de blé.
Le chimiste suisse Albert Hofmann (1906-2008),
cherchant en 1938 à développer un produit actif contre les troubles
circulatoires, étudia les dérivés de l’ergot de seigle. lI en arriva à
synthétiser le diéthylamide, appelé également lysergamide, LSD 25 ou
diéthylamide de l'acide lysergique. Toutefois les essais en vue d’un usage
thérapeutique ne furent pas concluants et il abandonna ses recherches. Il les
reprit cinq ans plus tard, dans le but de tester d'autres propriétés. C’est
ainsi qu’il découvrit sur lui-même les effets hallucinogènes du
produit (il en aurait absorbé par inadvertance en se frottant les yeux).
Le LSD provoque un état « psychédélique » qui peut aller jusqu'à de véritables
accès de schizophrénie. La firme Sandoz, pour laquelle Hofmann travaillait,
décida de distribuer ce produit dans le but de faciliter les recherches sur la
schizophrénie. Cependant sa commercialisation fut déclarée illicite en 1966 car
il était de plus en plus utilisé hors du circuit médical, notamment dans les
mouvements hippies, pour modifier les états de conscience.
Commentaires
Toujours d'excellents articles. Merci.
J'ai vivement apprécié un livre de science-fiction appelé en français "Le troupeau aveugle" de John Brunner paru dans les années 70 qui relate avec 30 ans d'avance le désastre écologique, climatique et politique dans lequel nous sommes déjà entrés.
Dans un des passages du roman, toute la population d'une ville américaine est prise de folie furieuse car un tremblement de terre a éventré des fûts de LSD stockés dans le sous-sol par les militaires et qui se sont déversés directement dans les nappes phréatiques.
Je me suis toujours méfié de l'eau du robinet...
Cela me fait penser à ma mère qui avait longtemps souffert de migraines. Je me souviens qu'elle avait été traitée à base d'ergot de seigle à l'époque... Ce fût catastrophique, en plein hiver, alors qu'elle travaillait sur les marchés, elle commença par avoir des gerçures aux orteils et doigts des mains, ceux-ci étaient devenus littéralement blancs. On lui diagnostiqua alors la maladie de Raynaud. Quelques mois plus tard une hypothèse fût émise, l'ergot stoppé, aussitôt les symptômes disparurent... mais les migraines revinrent de plus belle ! Tous cela est devenu histoire ancienne depuis sa ménaupose :-)
A propos des dérivés de l'ergot de seigle (di hydro ergotamine par exemple): ils sont contre indiqués formellement en association avec certains antibiotiques , les macrolides. Donc ne jamais oublier de signaler à votre médecin tout ce que vous prenez, même les traitements de fond de la migraine à base d'ergot de seigle...
à ce titre, il existe un retable à Issenheim peint par Grünewald qui relate un épisode de cette maladie.
J'ai vu le Retable d'Issenheim il y a quelques années et je recommande à toute personne voyageant dans la région de Colmar d'aller l'admirer. Je savais également que ce retable a un rapport avec l'ergotisme mais je n'en ai pas aprlé car je ne sais pas quelle détail précis y fait allusion.
pour connaitre le(s) détail(s) qui font allusion à la maladie,
je vous renvoie au merveilleux documentaire de la série palettes
d'alain jaubert qui évoque ce retable.
la présence de st antoine et parmis les multiples personnages,
on peut voir les infirmes qui offrent clairement les détails de l'ergotisme (corps gonflé
couvert de nécroses purulentes, les mains enflammées).
l'omni-présence des mains torturées par la douleur, les démons des hallucinations
en sont aussi des éléments notables.
Le retable d'Issenheim fut commandé par l'ordre des Antonins, ordre religieux qui s'était fait une spécialité de soigner les malades atteints du feu Saint-Antoine.
Ergotisme ou ergotisme ? On imagine combien l'on a dû ergoter au sujet du premier, et point seulement chez les médecins mis en scène par Molière. Forme de paludisme résistant au quinquina, - n'en déplaise à Mme de Sévigné et à La Fontaine -, "brouillards" du grain de seigle pour Fagon , piqûre d'insecte selon un autre, "défaut de génération" pour Diderot, il faudra attendre le genevois Augustin de Candolle pour que fût mise au jour l'origine fongique de la maladie.
Avez-vous lu Henri Michaux ?
C'est pour ça que vous faites de la photo, autre manière de s'exprimer.