Nommer c'est détruire. Je prononce le mot
"chaise" et voici que la chaise sur laquelle je suis assis disparaît. Elle n'a
plus de nom. La parole en fait un objet différent.
Il en va tout autrement de l'écriture, qui se moque des contradictions. Écrire
n'est pas nommer mais travailler, c'est-à-dire souffrir, disperser sa douleur
dans l'imaginaire, l'inscrire au tableau de l'éternité pour mieux la soumettre
à la question.
Je m'offre et ma plume écrit ce que je veux savoir. Je me reprends et quelqu'un
trouve le mot juste en me lisant.
L'écriture est chuchotement, vibration, partage. Il s'agit de dire "Je
t'aime" avec les mots de l'autre, d'épouser l'étoile de sa nuit, de
retranscrire pour notre usage commun la dictée du ciel.
L'écriture est la lumière que mon lecteur, sans phrase, projette sur ma
vision du monde. Il se sert de mes mots et je suis.
Alors surgit l'enfant et l'écriture devient ligne de vie, simple et belle,
voyage sans retour. Pour lui, nous ne pouvons nous contenter de la
superficialité des mots. La chaise n'est plus seulement un objet de repos. Elle
permet au Petit Prince, couleur de blé, mélancolique, de se distraire en
comptant les couchers de soleil. Antoine de Saint-Exupéry le sait bien qui, du
fond de la mer où il repose, nous parle encore, et pour toujours, de notre
enfant intérieur. Ce n'est pas par hasard si Le petit Prince a été
traduit dans presque toutes les langues. On devrait le donner en cadeau de
naissance à tous les enfants de la terre afin qu'il soit leur livre premier et
qu'il leur dise le monde avant que le monde ne les prenne.
L'écriture c'est le mentir-vrai, un mentir-vrai apprivoisé et légitime. Un
mentir-vrai toléré et tolérant. On ment parce qu'on dit la vérité humaine et
non celle de l'univers. On écrit pour dire la vérité au-delà des mots. On écrit
pour savoir s'il existe une vérité absolue. A moins que ce ne soit pour
accepter la vérité-mensonge, une vérité trop belle pour être tue et qui fait de
nous des êtres vivants.