« Le malheur est partout. Il nous faut donc en
faire un principe absolu, et même le fil rouge de tout comportement logique.
Ça, vous ne l’apprendrez pas dans une
académie mais
dans les champs de blé parsemés de coquelicots quand les pies bavardent avant
l’orage. Vous trouvez que ce que je vous dis ressemble à du
charabia pour
épitaphe
gothique ? Et pourtant, vous verrez bientôt que j’ai raison. Comment
pourrait-on qualifier autrement les
hiéroglyphes de la
vie ? C’est une énigme sans fin – je veux dire sans finalité - et qui ne vous
facilite pas la tâche quand il s’agit de la mener jusqu’au bout. C’est vrai, on
n’y comprend rien à cette belle
connerie qui vous confronte sans cesse aux espoirs déçus et vous oblige
souvent à renoncer. Vous devriez y réfléchir sérieusement.
La pendaison est une anecdote, la noyade manque de fantaisie, le revolver de
discrétion et le poison ne vous ressemble pas. Préférez l’
amanite tue-mouches,
cet
ithyphalle
mycologique qui vous envoie aux pâquerettes en deux temps, trois mouvements,
quatre soubresauts. Vous en trouverez dans le champ voisin, à gauche du
cimetière, près de la source. Allez-y tout de suite. Faites la chasse aux idées
noires. Suicidez-vous pour trouver l’ivresse. Le champ des cieux est à vous.
»
Tel était le discours que me tenait Grominus, un
rhabdomancien
aux conclusions plus
cynégétiques
et terrestres que prophétiques. Il se mit à chanter une
antienne en
faisant autour de moi des cercles mystérieux et redondants. Au passage il me
prit la main, y glissa un pentacle de fer orné d’un crâne grimaçant, puis la
referma en riant. Finalement il me laissa partir en déclarant que si je lui
obéissais ce serait pour lui une bonne publicité et pour moi un aller simple
vers une destination prestigieuse, l’éternité.
Or, je souffre de
misonéisme.
Faire l’expérience de la mort avant l’heure ne me tentait pas. Je sortis de
chez lui en hurlant qu’il n’aurait ni ma collaboration ni mon âme. Je jetai aux
pies le
talisman glacé et
m’enfuis à toutes jambes malgré le vertige.
La
balade
champêtre qui suivit ne fut pas inutile. J’en tirai une énergie nouvelle
qui fit de moi un centenaire. Elle m’a également permis de comprendre qu’il
vaut mieux mourir discrètement quand on est vieux, sans se faire remarquer. Le
moment venu, je m’en souviendrai.