Après
Nerval et son
onirisme désespéré voyons comment l'imagination
artistique de Salvador Dalí en fait l'archétype de l’onirisme pictural. Son
œuvre est une succession de représentations visuelles où le réel n’est qu’un
décor.
Dalí plonge en lui même à l’état de veille
afin de produire une autre réalité et nourrir, avec une expressivité très
personnelle, notre
imaginaire. Certes
il donne l’impression d’être fou, et d’ailleurs il qualifie lui-même sa façon
de peindre de
paranoïaque critique, « une méthode spontanée de
connaissance irrationnelle basée sur l’association interprétative critique des
phénomènes délirants » mais, contrairement à ce qu’il voudrait nous faire
croire, il est seulement
excentrique. Au delà du procédé commercial, sa folie supposée suggère que
toute œuvre d’art
est un symptôme et que le
rêve est une métaphore de la
vie. D’ailleurs il plonge avec délectation dans ses rêves et en tire une bonne
partie de son inspiration.
L'onirisme dalinien
L’exemple le plus spectaculaire est celui de sa série des montres
molles.
Salvador Dalí. La persistance de la mémoire.
Musée d'Art Moderne de New York. 1931
Voici comment il raconte sa découverte.
« Cela se passa un soir de fatigue. J’avais une migraine, malaise
extrêmement rare chez moi. Nous devions aller au cinéma avec des amis et au
dernier moment je décidai de rester à la maison. Gala sortirait avec eux et moi
je me coucherais tôt. Nous avions terminé notre dîner avec un excellent
camembert et lorsque je fus seul, je restai un moment accoudé à la table,
réfléchissant aux problèmes philosophiques posés par le ‘super-mou’ de ce
fromage coulant. Je me levai et me rendis dans mon atelier pour donner, selon
mon habitude, un dernier coup d’œil à mon travail. Le tableau que j’étais en
train de peindre représentait un paysage des environs de Port Lligat dont les rochers semblaient
éclairés par une lumière transparente de fin de jour. Au premier plan, j’avais
esquissé un olivier coupé et sans feuilles. Ce paysage devait servir de toile
de fond à quelque idée, mais laquelle ? Il me fallait une image surprenante et
je ne la trouvais pas. J’allais éteindre la lumière et sortir, lorsque je ‘vis’
littéralement la solution : deux montres molles dont l’une pendrait
lamentablement à la branche de l’olivier. Malgré ma migraine, je préparai ma
palette et me mis à l’œuvre. Deux heures après, lorsque Gala revint du
cinéma, le tableau qui devait être l'un de mes plus célèbres, était
achevé. »
Les montres laminées affadissent la notion du temps. Elles nous font douter de
notre rigueur, ce qui nous ramène à notre condition humaine et nous pousse à
l’autodérision.
Quand elle est illogique la réalité n’est pas montrable et pourtant Dalí y
parvient. Il provoque de ce fait chez le spectateur une providentielle
catharsis. Il s’est donné pour mission de
« systématiser la confusion du réel », d’être un « calqueur de rêve » qui remet
en cause la rationalité et nous offre ses
métamorphopsies comme un
miroir. Ses
fantasmes sont les
nôtres. D’un point de vue pictural Dalí est une sorte de
Vermeer qui aurait peint comme Jérôme Bosch avec
la bénédiction de Sigmund Freud, sous l’œil amusé d’Einstein et de
Crick et Watson. Tirant son inspiration de ses
visions oniriques, des lois cachées de l’univers et de sa légende intérieure il
nous enseigne qu’il ne faut pas confondre originalité et psychiatrie. Sa
réalité n’est pas à proprement parler
virtuelle, elle se contente de chercher en nous
un autre monde.
Commentaires
Bravo Garde! Beaucoup m´a plu votre conclusion sur l'imagination artistique de Dalí Particulièrement celle dont il tire son inspiration “des lois cachées de l'univers et de sa propre légende interieure”.
Je crois que, presque tous, nous nous sommes demandés quelque fois si cet homme n'était pas un vrai fou avec talent.
("La différence unique entre un fou et moi consiste en ce que je ne suis pas fou" S. Dalí)
On oublie que nous ne devons pas "confondre originalité et psychiatrie” et qu'avoir la capacité d'exprimer notre imagination artistique et notre propre légende intérieure, n'est pas privilège de fous, mais des génies.
PS. Je m´excuse, je ne comprends pas le mot “affadissent”. Merci. Ana
Après Marc CHAGALL, après Salvador DALI, Paul ELUARD çà paraitrait surréaliste !
Poème d'Eluard A Marc Chagall
Portrait d'Eluard par Dalí
Et l'amour c'est si beau.
une montre molle qui ne peut ni marquer,ni mesurer,le temps qui passe,n'est plus un objet technique;il se transmue en oeuvre d'art,un readymade répondrait Marcel Duchamp.Ce que souligne Dali en nommant son tableau PERSISTANCE qui signifie : PERMANENT PERPETUEL
je ne trouve pas une problematique pour l'histoire des arts sur l'oeuvre de Dali " les montres molles " pourriez vous m' aider s'il vous plaît ???
Vous tombez bien je connais ça par cœur. Dalí est un peintre classique, qui a suivi un cursus très sérieux quand il faisait ses études artistiques à Barcelone. Ce jour là il a peint le cap Creus à Port Lligat et cherchait ce qu'il pourrait bien mettre au premier plan. Après le repas de midi Gala, sa femme, est sortie en ville (je crois qu'elle est allée au cinéma). Dalí a refusé de l'accompagner. ll est monté faire la sieste et, dans son demi-sommeil, a vu couler le camembert qu'ils avaient entamé au déjeuner. Il tenait son idée : les montres molles, comme un camembert qui coule ! Ces montres molles qui nous interpellent sur notre rapport au temps...