Eric-Emmanuel Schmitt présentait jeudi en
avant-première à Lyon, sa ville natale - il est très exactement originaire de
Ste-Foy-lès-Lyon - son deuxième film,
Oscar et la Dame Rose. Tout le monde a
lu, lit ou lira le roman paru en 2002 sous ce titre, traduit en plus de 40
langues mais personne n’aurait imaginé qu’il pouvait donner un bon
scénario. Pas même l’auteur, sans doute, puisqu’il en a refusé les droits à de
nombreux réalisateurs. Il a fini par se décider à le tourner lui-même et il a
bien fait. Pourtant ce roman par lettres paraissait inadaptable. Le
théâtre s’en est emparé, certes, avec brio mais c’était, si on ose dire,
facile. Il « suffisait » de mettre en scène le texte pour le faire fonctionner.
Au cinéma les conventions sont différentes. Un film intimiste aurait échoué.
Eric-Emmanuel Schmitt, tout en conservant la trame de l’histoire et l’essence
des personnages, a conçu une nouvelle approche, donné du rythme et de la
fantaisie, pris le parti de l'onirisme. Le film est drôle, humaniste et
regorge de trouvailles. On frémit pour l’auteur quand on songe aux risques
qu’il a pris. Une chose est sûre, en tout cas, il n’y avait que lui qui pouvait
se donner les libertés nécessaires et, comme il le dit lui-même « mettre en
images quelque chose que j’avais déjà mis en mots ».
Les comparatistes forcenés trouveront une parenté avec Fellini mais ce serait
faire injure au réalisateur que de réduire son film à cette dimension, aussi
flatteuse qu’elle soit. Il s’agit d’une œuvre originale où deux acteurs donnent
le meilleur d’eux-mêmes. Michèle Laroque, dans son rôle de marchande de pizza
reconvertie malgré elle en thérapeute, arrive encore à nous surprendre. Le rôle
d’Oscar est tenu par Amir Ben Abdelmoumen, qui donne à son personnage une
incroyable présence.
Oscar, dix ans, est beau, intelligent, généreux, perspicace, plein d’humour,
philosophe. Il lui faut, pour mourir dignement, être initié aux mystères de la
vie, et c’est la dame rose qui s’en charge. À la fin de l’histoire Oscar n’est
pas celui qu’il aurait été sans leur rencontre, mais, de son côté, la dame rose
n’aura jamais plus le même regard sur la vie.
Un des secrets du film est sans doute l’harmonie des impressions sensorielles,
autrement dit la
synesthésie.
C’est dans ce contexte qu’il faut situer le court instant où la musique de
Michel Legrand s’arrête, où le silence prend une valeur métaphorique. Il donne
à entendre que la mort vient de saisir Oscar et notre émotion va bien au delà
de la puissance de l'image.
On aime également découvrir comment E.E. Schmitt parvient à rendre le temps
élastique. Il le ralentit et l’accélère à sa guise. Mes propos vous paraissent
ésotériques ? Courez voir
Oscar et la
Dame Rose car le film demande à être vécu plus que raconté. À tel
point qu’il n’est pas grave de vous dire qu’Oscar meurt à la fin. Le suspense
est ailleurs. Je mentirais en affirmant qu’il est dans les cadrages, la
saturation des couleurs, les très beaux clairs-obscurs, l’évolution des
personnages, le rythme du montage, la musique : il est dans le fait de savoir
comment tous ces paramètres vont évoluer jusqu'à la scène finale. « Je cherche
des vibrations » déclare E.E. Schmitt après la projection. Il trouve les
nôtres, nous libérant ainsi de notre inquiétude première. Quand on aime son
œuvre on entre dans la salle obscure en se demandant si on ne va pas être déçu.
On est surpris, à la sortie, d’avoir été ne serait-ce qu'effleuré par une telle
pensée. Et l’on se dit que jamais
Eric-Emmanuel Schmitt n’aurait eu ni
l'imprudence ni l'audace de trahir ses lecteurs.