Le Garde-mots

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lundi 29 mars 2010

Jargonophasie

Trouble du langage dans lequel certains mots sont remplacés par des phonèmes incompréhensibles. Il se produit une déperdition sémantique qui entraîne des difficultés de communication.
 
Étymologie. De la racine onomatopéique garg- désignant la gorge et les organes voisins, et, par extension, leurs fonctions, et du grec phasis, parole.

Synonymes et mots voisins (passez votre pointeur sur les mots pour obtenir leur définition) : amphigouri, babélisme, babillage, bafouillage, bagou, baragouin, baratin, bavardage, blablabla, boniment, bredouillage, cacographie, caquet, charabia, causette, commérage, délayage, discutaillerie, exubérance, faconde, fatras, fatrasie, forgerie, galimatias, grommelot, ithos, incontinence verbale, jacasserie, jargon, jaserie, logogriphe, logorrhée, loquacité, papotage, parlerie, parlote, pathos, phébus, phraséologie, prolixité, racontage, racontar, radotage, sabir, salmigondis, tachylalie, tachyphémie, verbalisme, verbiage, verbigération, verbosité, volapük, volubilité.

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vendredi 4 septembre 2009

Suivez-moi-jeune-homme

Nom donné familièrement au XIXe siècle à un ruban qui pendait à l’arrière du chapeau, parfois de la robe des femmes, et dont le flottement était supposé attirer le regard des jeunes hommes. Mot invariable.

Sur le plan linguistique, suivez-moi-jeune-homme appartient à une série de mots composés contenant un verbe conjugué. Ils ont une valeur lexicale (une signification propre) et comportent un ou plusieurs traits d’union selon les cas. Certains sont courants, comme aide-mémoire, sèche-cheveux, laisser-aller, d'autres plus rares.

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lundi 12 novembre 2007

La cousinade

Le concubinage et le cocufiage ne diffèrent que sur un point : le nombre des mensonges. L'essentiel, comme le prétend l'usage contemporain, est de couchailler à droite et à gauche sans se soucier de la conjugalité, de s'acoquiner avec les créatures les plus fantasques jusqu'à en être satisfait ou repu. "Viens que je te bouillave", déclare-t-on aujourd'hui, sans autre forme de désir. Selon certaines règles non écrites, le fornicateur doit posséder une aptitude orgasmique à toute épreuve et, quand la conversation s'y prête, affirmer à qui veut l'entendre qu'elle est, chez lui, régulièrement assouvie. À chaque partenaire une nouvelle chatouille, une papouille inédite, une gratouille éprouvée, un trait émoustillant. Il faut, à tout moment, inventer des caresses modulaires. Celui qui se livre sans retenue à la dégustation orgiaque, au coquinage branchouillé, à l'amour souterrain, fait l'admiration de ceux qui se vantent autant que lui. Certains connaisseurs optent pour l'émulation chaotique, d'autres pour des soulignages formels et convenus. Ils sont capables de pratiquer l'urolagnie à droite et le fétichisme à gauche puis de rentrer innocemment chez eux tels des boucaniers en maraude, après avoir écumé les soirées coûteuses et croustillantes des aoûtiens en mal de supplément copulatoire. Sur le chemin du retour, ils affouillent dans le silence ouatiné de leur mémoire les images de dénudation qu'ils ont arrachées à la fournaise libertine. Ils reviennent en toute couardise au logis un instant délaissé avec le sourire épanoui des gargouilles pendant l'orage. Ils préparent en chemin des arguments sans consistance qu'ils débitent d'une voix assourdie, démontrant ainsi qu'ils ne sont pas vraiment passés maîtres dans l'art de la persuasion.

Sans vouloir l'épuration des mœurs, on peut souhaiter une certaine retenue dans la fréquence coïtale. Assortie d'une justification laconique, d'une argumentation assouplie, loin de tout houspillage, elle est parfois propice au dialogue. Il me souvient de la balourdise mêlée de rondeur anomique et de rougeur éclatante dont faisait preuve mon ami Praetorius, ancien professeur des écoles devenu paysan, quand il me parlait de ses aventures extraconjugales. Le bar où nous nous retrouvions avec ponctualité le samedi soir n'était pas assez grand pour contenir ses confidences. Heureusement, il s'engouait au sept ou huitième pastis et rentrait chez lui avant la syncope, en empruntant les chemins cailloutés de l'Ardèche profonde. Il habitait au lieudit l'Abeillou, près du fameux tumulus proto-historique. Sa compagne était une majorquine à l'accent rocailleux, au regard traînant, qu'il trompait "à la royale et pour de bonnes raisons", selon son expression favorite. Sa vie de couple continuait malgré tout, entretenue par une jalousie réciproque et des échanges sporadiques. D'une voix soupirante Joaquine insultait Praetorius quand il rentrait à la maison un peu tard, ce qui lui permettait de se soustraire à des ébats approximatifs. Il rétorquait qu'elle était froide, se mettait à vasouiller une quelconque grivoiserie de bas niveau puis tombait dans un sommeil réparateur et souverain qui lui permettrait, le lendemain, de nouvelles escapades.

Les travaux des champs drainaient le plus clair de leur énergie. La gaudriole buissonnante, dans le couple, c'était l'instant organique, imprévisible, qui surgissait de l'ombre comme un animal traqué. On aurait dit des enfants en vadrouille ou des humanoïdes à la recherche de leur propre vérité. On les entendait parfois gazouiller dans la houssaie et le ciel se réjouissait de cette entente stochastique. L'amour venait de surcroît, au hasard des réconciliations, puis il s'émoussait sans laisser de souvenir. Ils se foutaient de tout sauf de leurs querelles et de leur récolte de blé.

Leur maison était des plus curieuses. Elle avait la forme d'un bateau renversé, comme si un voilier des mers australes était venu finir sa houaiche près de la rouvraie et se retourner pour toujours au mouillage, en attendant la venue d'un matelot qui la touerait en direction du large. L'arrière était arrondi et l'avant pointu comme un coupeur de vent avant la tempête. II n'y avait pas de gouvernail, et c'est ce qui, par une symbolique chère à Praetorius, expliquait les hauts et les bas de ce couple finalement plus solide qu'il n'y paraissait.

Joaquine n'avait plus ses menstruations depuis la dernière éclipse de lune. Peut-être même ne s'était-elle jamais aperçue, dans sa jeunesse, qu'elle aurait pu devenir mère. Tout ce qu'elle savait c'était que la roublardise de Praetorius était aussi démesurée que le nombre de ses maîtresses. Elle avait décidé une fois pour toutes qu'elle se vouerait aux soins du ménage et qu'elle ne bougerait pas le moindre sourcil quand il rentrerait tard en état de sustentation plus qu'improbable. Il roulerait sous la table sans recevoir le moindre secours. Elle vivait son quotidien d'intouchable sans jamais poser de questions. Elle menait les vaches à l'abreuvoir, éboutait les branches de pin maritime pour en faire des palissades, entourait les fleurs de son jardin de soins attentifs – surtout les pulmonaires qu'elle affectionnait particulièrement – et préparait la tambouille aussi bien qu'elle le pouvait en attendant le retour de Praetorius. Sa cuisine était bourrative mais saine. Ses plats de bataille se révélaient plutôt euphorisants : agneau à la sauce farigoule, favouilles saisies dans l'huile bouillante, dindonneau farci à la Lourdaise, andouille de Touraine, cagouilles sautées, artichauts en barigoule, langoustines en colère, panouilles grillées, nougatine à l'orange. Elle n'aimait pas spécialement ces plats d'une grande valeur calorique mais elle trouvait que leurs couleurs riches et variées donnaient à sa maison un air de fête. Quand elle devenait nostalgique elle pleurait un bon coup dans sa souillarde et retournait au travail le cœur libéré. Elle savait qu'elle courberait toujours l’échine pour mieux rebondir. Elle moulerait ses gâteaux, rentrerait les foins, bouserait l’étable, en même temps qu'elle louerait la providence pour sa générosité. Comme presque tous les soirs elle souperait sans son mari en regardant obstinément sa toile cirée, et c'était bien comme ça qu'elle entendait finir sa vie. Il n'était pas question de forcer sur l'acide ascorbique pour combattre au petit matin la fatigue d’une nuit d’amour. Elle s'écroulait toujours de sommeil avant qu’une exigence particulière ne fut émise. C'était une technique comme une autre qui lui permettait d'oublier ses tracas journaliers.

Quand Praetorius était un peu trop entreprenant elle déjouait avec un plaisir inavoué sa stratégie amoureuse. Elle glissait dans sa nourriture un peu d'écorce de bourdaine et attendait, dans le silence de la nuit, le bruit des flatuosités qu'il ne tardait pas à émettre en dormant. Il se réveillait en colère, se ruait aux cagouinces, comme il disait, en bredouillant quelque grossièreté malsonnante lorsqu'il heurtait dans le noir l'andouiller accroché au mur. Joaquine savourait en secret le fait qu'il eût succombé au péché de gourmandise. Elle se laissait traiter de sagouine avec un rien de jouissance et une bonne dose d'exultation. Elle étouffait parfois un rire du plat de sa main. De son côté il n'était pas dupe de la manœuvre. Il savait très bien à qui il devait cette mauvaise surprise. En tout cas il la laissait tranquille cette nuit là et, pendant les quelques jours qui suivaient, il restait à la maison sans penser à courir la prétentaine. Elle rejouait au petit jour son rôle de conjointe collaboratrice rurale en faisant mine de ne s'être aperçue de rien. Il ne se douterait jamais de la ruse, du moins en était-elle convaincue. Son affection pour Praetorius s'éboulait régulièrement mais elle savait où était son intérêt et gardait toujours assez de sang froid pour se donner, à ses propres yeux, des attitudes de femme fidèle et attentionnée.

Vint le jour où ils organisèrent une cousinade. Cet événement fut une réussite sur le plan de la participation et de l'animation mais leur couple n'y résista pas. Praetorius était le descendant d'une famille très nombreuse qu'il faisait remonter à son arrière-grand-père Laurentino. C'est lui qui avait construit la maison de ses propres mains. Venu en sabots de Roumanie, il s'était engagé dans la marine comme chaloupier puis avait été douanier du côté de Trinidad-et-Tobago. Il avait gardé de sa jeunesse aventureuse l'envie de repartir un jour mais il n'avait jamais réussi à se décider. C'est peut-être pourquoi ses nombreux enfants avaient essaimé à travers le monde. Bref, pour leur cousinade, Praetorius et Joaquine accueillirent 407 personnes qui avaient entendu parler les unes des autres sans vraiment se connaître. Il en était venu de partout : de Salonique, de Slovaquie, du Mozambique, des Malouines, d'Arabie saoudite, d'Afrique subtropicale, de Mandchourie et même de Ouistreham. Cette fête drolatique et grouillante permit de réunir un avionneur, deux aumôniers, un ancien joueur de saxo à la babouine pendante, le président de la Ligue des contribuables, un chiropracteur pour animaux de compagnie installé rue des Saussaies, un arsouille en rupture de ban, un candidat à la députation qui soutenait la cause des comiques repentis, une journaliste très polie, un professeur de botanique spécialiste des scrofulaires aquicoles, un ancien moutardier de réputation internationale, un manouvrier qui énouait les tissus les plus rebelles avec un air d'artisan satisfait, une douzaine de jeunes auboises qu'on pouvait voir glandouiller au soleil comme si elles attendaient la morsure des ultraviolets, un fouacier aux mensurations impressionnantes, une maquignonne amoureuse de ses chevaux, un marchand de mosaïque, un cambrioleur romantique admirateur de Bakounine, un couple d'anciens poujadistes en patrouille, un fabricant d'embauchoirs et de soliveaux, un compositeur de musique rhapsodique, un étudiant en économie portuaire, un champion de moulinage artistique, un médecin spécialiste de l'uropathie rétrograde et même un tonton iacoute qui avait servi dans le corps consulaire de son pays avant de lancer une affaire de publipostage. Ce petit monde renouait avec le réseau de la mémoire et s'amusait à saucissonner en chœur pour le plaisir d'avoir des nouvelles fraîches de la diaspora familiale.

Des petits groupes se formaient. On sortait les organiseurs pour échanger des adresses. Ceux de Sartrouville fraternisaient avec les cousins de Rambouillet. Une algonquine et une jeune audoise cherchaient à savoir par quel lien introuvable elles appartenaient à cette famille Fenouillard du silo à blé. Un fauconnier grassouillet, originaire de Forcalquier, s'amusait, avec son laguiole au guillochage festonné, à sculpter la maison de Praetorius dans un bouchon de champagne. Il en profita pour annoncer à la cantonade qu’il épousait une gentille fille la semaine suivante et qu'il y aurait une oursinade monstre.

C'est alors que Praetorius, d'après ce qu'il m'a raconté, donna à la fête un tour imprévu. Il avait repéré, dans la foule des invités, une petite cousine assez plaisante quoiqu'un peu trouillarde. Il voulut faire le joli cœur et peut-être plus si les circonstances se montraient favorables mais au moment où il allait lui adresser la parole il glissa lourdement dans la gadouille. Lui qui cherchait des mots grandiloquents, des tournures susceptibles d'impressionner la jeune fille, ne trouva que des expressions argotiques, à la limite du communicable, pour exprimer sa peur et son dépit. Il lâcha, en même temps une éructation, des sonorités habituellement réservées à l'intimité du pantalon, et quelques phrases qu’il serait malséant de cautionner. Pour finir il s'évanouit, et les cousins les plus proches crurent qu'il allait mourir. Mais il en fallait plus pour abattre ce vieux dinosaure à la gouaille bien établie. Quand il ouvrit les yeux, pris d'une loquacité soudaine, il fut encore plus prolixe que d'habitude :
- Nom d'un petit bonhomme à roulettes. Qui est-ce qui a mis de la boue par ici ? Au lieu de me regarder comme des ouarines au fond de la jungle brésilienne, vous feriez mieux de m'aider. Y'aurait pas un parfumeur anosmique pour me tirer de là ? Vous êtes en état d'aboulie, ou quoi ?
L'oncle Jacques, le fabricant de calorifuges, se précipita.
- Non pas toi, t'as trop bu, protesta Praetorius.
Jacques, son frère bien aimé, de quatre ans son cadet, celui à qui il passait tout depuis l’enfance, même les méchancetés les plus abouties, le collectionneur de baïoques, l'éblouissant roi de la farfouille, le pourfendeur de l'obscurantisme des banlieues, le champion de l'ordinateur conceptuel… Si ce frère chéri ne trouvait pas grâce à ses yeux, il y avait du mouron à se faire et pas seulement pour les petits oiseaux.
Praetorius, en état de rubéfaction avancée, s'embouait en proférant des menaces susceptibles de semer la perturbation parmi les invités :
- Vous êtes tous des adeptes de l'attention roupillante, des fanatiques de la pensée coulissante, des empêchés du secours cathodique, des oligarques déjantés, des Jacouille la fripouille du génie familial. Je veux que vous avouiez une chose, bande d'échappés de crématorium, de condamnés à la putréfaction éternelle... Vous êtes venus pour parler des ancêtres prostatiques ou mâchouiller de la charcuterie en attendant mon inhumation ? Au lieu de me regarder tels des gougnafiers aux yeux globulaires, vous feriez mieux de m'aider à sortir de mon jus. Attendez que j'y arrive. Je vous boulerai la cage thoracique et autre cibles émouvantes. J’ai tout ce qu’il faut dans mon cartouchier. Promis, je ne vous louperai pas. Si nécessaire, je vous couperai le panache érectile, je vous foulerai au pied comme des envoyés du diable, je vous écraserai comme des bigorneaux sudoripares et je vous achèverai à l'ébauchoir. Rassurez-vous, votre cérémonie mortuaire vaudra le déplacement. Je ferai de vous des reliques de luxe et je vous rangerai par ordre de taille dans mon ossuaire privé. Je serai votre Raspoutine, celui pour qui les jours raccourcissent plus vite que vos nuits. Vous ne le savez peut-être pas mais c'est chez moi que les rats viennent se fournir en reconstituants humains. L'exhumation sera sanglante. Vous voulez un sous-titrage ou vous me croyez sur parole ? En tout cas partez avant que je ne craque, c'est tout ce que je vous demande...

À chaque invective le silence devenait plus solide. Il ajouta, en proie à une insurmontable colère, avec des efforts improductifs pour se relever et en cherchant du regard les éventuels contradicteurs :

- Vous n'allez pas vous en tirer comme ça. Je vous promets du sport, de la manutention de neveux à coup de pieds bien centrés, des tuméfactions aux endroits les plus délicats. Vous avez les portugaises ensablées, ou quoi ? Dès que je serai debout je jouerai à vous fouailler la bedaine. Je vous dorloterai au gaz carbonique. Je vous saoulerai d'insanités gauloises, je vous bouterai le cervelet hors du crâne et j'y goûterai avec joie, je vous nouerai l'aiguillette, je vous couderai le bec hurleur, je vous coulerai du plomb dans l'outillage parodique.

Tout le monde comprit qu'il avait forcé sur le vin à l'orange, le chardonnay, le bordeaux, le cognac et peut-être même la liqueur de pêche.

Un asticoteur saoudien fit une déclaration tonitruante. Le maître des lieux avait, disait-il, un débit de curé invocateur qui retrouve ses ouailles au beau milieu du purgatoire et les met au défi de réciter des versets coraniques. Il devrait renoncer à enseigner la parousie et la morale absolutive. Praetorius ne pouvait s'empêcher de jurer comme un camionneur pris de somnambulisme sur le pont du Bosphore. Il s'enrouait pour un rien et, à cause de sa voix couinante, ne parvenait plus à dominer la situation. Il secouait ses bras et ses jambes en un effort si désespéré qu'il finit par s'épuiser. Il échouait à reprendre ses esprits et l'attention générale se détournait de lui. Personne ne se dévouait pour l'aider. Il s'ébrouait avec de larges moulinets. Bientôt il s'embrouilla dans ses invectives et décida enfin de réagir.

Quand il put reconquérir la station verticale, c'était trop tard. Les 407 invités de cette partie de campagne atypique étaient en liesse. Une vague de rires contaminait les groupes au fur et à mesure que Praetorius évoluait dans le pré d'un pas très approximatif. Soudain il s'accrocha à un arbousier en insultant les cousins d'Armorique, se mit à bafouiller en traitant d'agnostiques celles et ceux qui se moquaient de lui puis, dans une attitude alourdie par le poids des ans, il fit mine de frotter ses vêtements imprégnés de boue. On aurait dit qu’il écobuait la planète à la recherche de l'engrais magique.

Joaquine contemplait d'un œil éteint la foule de ces inconnus plus ou moins parents entre eux qui riaient en regardant le vieux fou se dandiner avec l'embarras d'un pantin de foire. Il bouelait, comme disait une vaudoise, "... tel un carillonneur catholique avant le jugement dernier", sans avoir l'air de se soucier du qu'en-dira-t-on. La famille faisait maintenant un cercle autour de lui en se rapprochant dangereusement.

Tout rentra dans l'ordre quand un enfant de dix ans prononça cette phrase définitive et, somme toute, pleine de bon sens :
- Arrêtez de vous moquer de lui. C'est un être humain.

L'agitation narquoise s'apaisa avec la disparition du soleil. On commençait à plier bagage, en rentrant la tête dans les épaules. Certains se demandaient ce qu'ils faisaient dans cette Ardèche profonde où l'on pouvait être le témoin oculaire de drames si inattendus qu'un incident banal pouvait se transformer en spectacle réjouissant.

Une petite vieille rabougrie partit en pleurant. Nicolas Boileau, le roi de la magouille, un escroc international dont l'autorité était reconnue dans son domaine de prédilection, le trafic de diamants chromatiques, sonna l'heure de la retraite. Il ne volait jamais les pierres transparentes, dont il trouvait l'éclat un peu trop proche de la perfection. C'était pour lui comme un code d'honneur. Il préférait les diamants bleus, jaunes ou noirs, qu'il écoulait avec délectation auprès d'amateurs peu scrupuleux. Il leur donnait des noms bien à lui : Odalisque du mensonge, Violateur des consciences adoucies, Moineau voltaïque, pour ne citer que les trouvailles les plus imagées. Il ne jurait que par Cézanne, le chantre de la peinture couillarde, dont il s’inspirait pour ses compositions. Il avait été orpailleur dans le Yukon et depuis il œuvrait à sa manière pour l'éducation gemmologique des riches veuves susceptibles de liquider leur douaire à son profit sans devoir recourir à la régulation juratoire. Il rembourrait ses poches avec les dollars qu'elles lui octroyaient moyennant quelques pièces rares de sa collection et un peu de tendresse quand elles insistaient. Il leur parlait sans détour, comme un champion de poulailler qui couverait un gros collier d’ambre. Il avait eu quelque succès, dans l'après-midi, en se ventant de ses exploits et de ses dépenses somptuaires auprès d'une ancienne courtisane née sous les caroubiers de la Grande Canarie. Il dénouait ses chaussures à la poulaine en lui chantant un air de haute-contre. C'est ensemble qu'ils firent leur sortie dans un style ébouriffant, qui mêlait, en un déhanché harmonieux, la danse conjuratrice des indiens séminoles et le prosaïque pas de deux que les clowns empruntent au défilé militaire.

Le célèbre philosophe Prosper Roumanille, l'inoubliable auteur de "Scholastique de la récusation discourante" et de "Exhaustion de l'Ougartien consubstantiel", celui qu'on surnomme "le Nicomaque des temps dogmatiques", tenta en vain d'endiguer le mouvement, en se donnant des airs de rabibocheur en mission. Il hésitait entre le vocabulaire socratique et un saupoudrage quotientant en bonne et due forme. Finalement il se risqua à lâcher une simple copulative :
- En ma qualité de …
Dès les premiers mots quelqu’un le traita de raisonneur et il s’arrêta en pleine spéculation maçonnique, se doutant bien que, s’il insistait, la partie deviendrait injouable.

Le suivant à quitter les lieux fut un homme étrange qui prétendait, à la stupéfaction générale, être né le premier jour de l'humanité et qui pratiquait le principe de précaution en vivant nu. Il s'appelait Ourasie et arborait sur son visage mal rasé un poireau du plus bel effet. En revanche il ne sortait jamais de chez lui sans son formulaire portatif où les impressions harmoniques, supputations alogiques, opérations commutatives et autres citations aporiques se mêlaient aux projets de métempsychose et de chirurgie karmique. Il écrivait sous le boisseau des poèmes étourdissants, sans aucune expurgation, dans lesquels il vantait les mérites de la musique psalmodique. À n'en pas douter il était né dans un pandémonium libéral dont il avait gardé un tatouage en forme de croix ansée sur le bras gauche. Son passe-temps était la photographie au polariseur numérique. Il avait également écrit un très populaire traité sur la dépuration des dartreux et un autre, moins connu, sur l'ourdissage des fauteuils Louis XV et la manière dont il les étoupait. Les rires fusèrent quand il s'enfuit par la coudraie, en volant le fluviographe d'un ingénieur nommé Eupalinos. Celui-ci avait beau hurler à la forfaiture, rien n'y faisait. Comme on avait diagnostiqué chez lui une insuffisance aortique il mourut sur place en criant qu'il n'avait pas payé sa dernière note de gaz.

Cette péripétie fut suivie d'un silence monastique mais le répit ne dura qu'un instant. Bientôt la panique s'empara de ce petit monde outrancier. On vit des dames de bienfaisance s'échapper à la marsouine avec beaucoup d'agilité, des minettes souriantes rajuster leurs oripeaux en sortant de la boulaie, et même un oncle d'Ouzbékistan réclamer un billet de train pour la banquise. Il évoquait, dans l'indifférence générale, le bon vieux temps de la chasse à l’ours.

Praetorius, que tout le monde avait oublié mais qui n'était pas mort pour autant, reprit ses invectives. Il avait tellement bu qu'il se mit à parler comme un professeur d'Université. Il en était, en pleine surexcitation, à prêcher la guerre atomique et à prétendre en être le chef :

- Assujettissons la terre entière. Poursuivons le massacre jusqu'à la rendre azoïque et victorieuse. Le baroquisme ne triomphera pas, malgré son âge canonique. Il ne tutoiera pas les étoiles aux quatre coins du zodiaque avant longtemps. Achevons le brouillage spirituel, l'aquosité de la parole. Répandons sur le désert de la pensée une pluie mouillante et splendide.

L'heure était à la débandade. Chacun partait sans dire au revoir aux autres. Mon ami Praetorius me rejoignit au bar à la nuit tombée. Il me fit l'autopsie de cette journée inattendue en riant et en pleurant à la fois. Il ébouait avec rage l'extrémité ongulaire de ses doigts et je commençai à avoir pitié de lui. Comme je lui demandais des nouvelles de Joaquine il finit par m'avouer en gémissant qu'il avait tout inventé à cause de la patience avec laquelle j'écoutais ses histoires et qu'il était orphelin et célibataire.

Le rire est contagieux mais les pleurs sont insupportables, surtout celles des autres. Je prêtai une oreille distraite aux derniers mots de son histoire en me promettant de ne pas recommencer. Plus jamais je ne mettrais de pilule douteuse dans son pastis. La prochaine fois que je le retrouverai au café de la Barbouille je bourrerai ma pipe en silence et je regarderai la cime du séquoïa géant dans le jardin d'en face en prenant bien garde de ne pas demander des nouvelles de ses 407 cousins.

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vendredi 9 novembre 2007

Ceci n'est pas un concours

Ceci n'est pas un concours mais un défi

Vous allez lire ci-dessous le début d'une nouvelle. La suite est prête mais je ne la publierai que lorsque quelqu'un aura trouvé sa particularité. Il suffit d'un seul commentaire donnant la solution pour que je l'affiche. Si personne ne trouve je garderai ma nouvelle sur mon disque dur. Vous le découvrez : le défi est vis-à-vis de moi-même car j'ai envie de publier ce travail. En même temps je ne suis pas mon propre héautontimorouménos : j'afficherai chaque jour, si nécessaire, un indice pour vous faciliter la tâche. Du moins tant que j'en aurai, mais je ne donnerai pas la solution directement, c'est juré.

En fait, tout ça c'est plus amusant que risqué car Joël va certainement trouver dès qu'il passera par le Garde-mots. La dernière fois, à l'occasion de mon billet Catastrophe, c'est lui qui a donné la solution de l'énigme littéraire.

Journal de bord

Dimanche 11 novembre, 22 h 30 : dans le texte qui suit vous avez la solution 38 fois sous les yeux.
Dimanche 11 novembre, 22 h 57 : l'énigme a été très vite découverte par M. Il s'agissait de remarquer que la nouvelle contient des mots (y compris le titre) comportant chacun les 5 voyelles aeiou.

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lundi 9 juillet 2007

Catastrophe

Je me suis marié deux fois, deux catastrophes :
ma première femme est partie,
la deuxième est restée.
Francis Blanche.

Événement brutal, d'origine naturelle ou humaine et qui a des conséquences effroyables, très souvent la mort. Du grec katastrophê, bouleversement. Synonymes : abîme, accident, affliction, bouleversement, calamité, cataclysme, coup, débâcle, désastre, détresse, drame, épreuve, fatalité, fléau, infortune, krach, malédiction, malheur, ravage, revers, séisme, tragédie, tribulation.

Flèche Dans le texte qui suit vous pouvez passer votre pointeur sur les mots soulignés.

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samedi 20 août 2005

Le passage


Une grille vient de tomber entre mon regard et le monde. Ça fait mal, très mal. Pas à mes os, ni à mes muscles, je ne sais même pas si j'en ai. Il faudra d'ailleurs que je m'en préoccupe. Une prostituée ou un médecin pourraient me dire si j'ai une chair et si elle fonctionne normalement. Cette grille fait mal au rêve dans lequel je m'invente. Je suis derrière des barreaux alors que je me croyais libre et sans attache. Certes ce n'est que la grille d'un magasin. Vers sept heures, le libraire, qui n'avait plus de clients, a rangé le livre qu'il feuilletait, puis fermé boutique sans prendre garde à ma présence. Je n'avais pas vu passer le temps, cette notion que personne n'explique de façon claire et qui, pour le moins, m'est indifférente.

Je pourrais appeler, mais qui m'entendrait ? Aucun téléphone, portable ou filaire, ne me permettrait de réclamer du secours car je n'ai pas de voix. Je suis un pur esprit.

La nuit passera vite si, grâce à la littérature, j'arrive à oublier de me plaindre. Que m'importe d'être seul ? Je ne suis pas enfermé dans une boucherie dont j'aurais mal supporté la propreté factice. Ici, au moins, je peux, au petit bonheur des livres, apprivoiser le monde, découvrir une autre réalité que la mienne, soulever discrètement le voile de l'absolu. Vais-je m'attaquer à Molière, Voltaire, Hugo ou Eric-Emmanuel Schmitt ? Dévorer un dictionnaire ? Commencer par un livre sur la musique celtique ? Une bande dessinée pour adulte ? Une chose est sûre, je ne toucherai pas à la philosophie.

J'ai trouvé: Jacques Prévert. Paroles. J'aurais dû le lire depuis longtemps.

Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger...

J'aime les oiseaux. Si ça avait été possible je les aurais inventés. Mais pourquoi une cage ? Un oiseau a droit à la plénitude de son vol.

Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider

Il a raison. Il se méfie. J'aurais dû en faire autant.

Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau

Ma cage ressemble à celle de l'oiseau. Sauf qu'elle est lourde de tous les rêves humains. Elle m'attendait au fond du passage.

Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau

Cet oiseau, c'est un peu comme le savoir. Il arrive quand il veut, il part si on l'effarouche et il faut apprendre à l'oublier lorsqu'on veut en faire son complice.

Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter

Prévert n'est pas seulement un scénariste pour sortie de guerre mais surtout un poète à l'épreuve des âges. Son oiseau, c'est un peu moi. Si je pouvais chanter je choisirais d'ailleurs un nom italien: Farinelli … Pavarotti… Toto Cutugno… Plutôt Paolo Conte. Ça sonne bien.

Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer

J'entends chanter l'oiseau. Prévert, il faut que je te rencontre. Je te montrerai le silence. Je te ferai entendre les couleurs. Je t'apprendrai à lancer tes mots aux quatre coins de l'univers.

Alors vous arrachez tout doucement une des plumes de l'oiseau et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

Que dois-je écrire ? C'est difficile de signer quand on n'a pas de nom. Après tout je ne suis qu'une ombre. Un être sans forme ni atomes, né du projet numérique de Dandylan, le photographe du passage Ponceau. Ma mission est de l'aider à voir, à cadrer la réalité jusque dans ses dimensions cachées. Dan, je te laisse à tes images. Si un jour tu as besoin de moi, mets dans ta vitrine une photo de coquelicot. Je comprendrai. Je t'apporterai des nouvelles de la lumière et de Prévert.

Mes pensées sont en décalage. Elles vont bientôt s'arrêter. D'un simple mouvement de paupières voici que je quitte la librairie, le passage et ma douleur. Il n'y a plus de grille. Je remonte dans mes étoiles. Rassure-toi, Dan. Le petit matin se lèvera tout aussi bien sans moi.



[Retrouvez ce billet dans L'Almanach 2009 du Garde-mots]

vendredi 1 juillet 2005

Le satire-larigot


La salaudace du satire-larigot était si grande qu'il avait réussi à amouratisser son village en une petite année, au point que toutes les femmes, sauf une, lui étaient tombées dans les bras. Quand il était triste il s'appliquait à retrouver leurs visages sur l'écran de sa mémoire, récitait leur prénom à voix basse et se remémorait les scènes les plus vives de ses rencontres avec elles.

C'est ainsi qu'il parvenait à troublier le sujet brûlant du moment, le traité constitutionnel européen, et la manière dont les média s'en était emparés. Cette eurobinetterie parolière lui paraissait totalement dénuée de vertu euroborative. Les eurodomontades euroburites étaient un véritable eurodéo qui le laissaient eurogatoire. Les débazookas télévisuels, pour le moins europaques, entre opposants et partisans du traité frisaient la débassesse et l'auliquéfaction. Ils provoquaient chez lui un riennui sans précédent que la présence affectueuse de son châtre n'arrivait pas à compenser, ainsi qu'une envie de se rendre à la gare la plus proche pour absendrier. Le grand tumultrason qu'on faisait autour du traité risquait de déclencher l'avitation des dronadaires et même une guerrien sans précédent.

Cette après-midi là une députain eurock&roll et un commystérique s'étripaient en direct sur le petit écran. Les voix de ce tandémagogue sans véritable idéal, qui cherchaient plus à compétiller qu'à convaincre, couvraient la bruitalie des fellévisions multiples que ses voisins tentaient derrières leurs impersiennes pour mieux oublier la pauvreté du paysage audiovisuel. Il trouvait ce tintamarché singulièrement fédérisoire.

Il se sentait comme un canicuriste sans brumisateur, un parlêtre décu par une amitiède ou comme un chinoisif dans une rizière en feu. Ses idées étaient aussi mouvantes que celles des vachequiriens – c'est ainsi qu'il nommait les politiques – des hommelles, des occiputrides et des retarés de la société soi-disant idéale qui tentaient d'habriter le solitunnel de sa pensée.

Dans ces de ne pas mourir de barbarire, il se livrait au silencinant vertige de l'oubli. Parfois, cependant, la constipassion le poussait jusqu'au délire verbal. Le pharmacien de son quartier lui enviait cette maladie qui, lorsqu'elle s'aggravait, provoquait chez lui des bouffées de poésie. C'est pourquoi d'ailleurs il avait choisi la profession de littéraccoleur. Son dernier roman, "Emmanuelfe et le supermatozoïde" n'avait pas encore trouvé d'éditeur. Cependant il ne désespérait pas. Il estimait que la raisonnance l'aiderait à avancer dans la vie et à se faire connaître au-delà des contre-allées de son village. Bien sûr il n'avait pas eu dans sa jeunesse la baccalauréattitude, mais les diplômes étaient-ils véritablement nécessaires pour écrire des romans érotico-mystiques ?

Dans ses moments de doute il trompait son ennui en imaginant que Léonie, sa voisine de palier, une méchanteuse à la voix improbable, se livrait avec son ordinamant à un jeu essensuel et sans cesse répété. Il se demandait même si elle pouvait amourir pour sa machine virtuelle et ça le rendait un peu jaloux. Il l'imaginait en train de vagigoter avec ardeur devant une machine qui n'avait même pas d'écran tactile. Cependant il se sentait terrorrifié à l'idée qu'elle lui demanderait un jour de la sexsonariser. Elle réclamerait un canicunilingus ou une séance de constitutionanisme. Face à cette dévoreuse d'amour il manquêterait certainement de patience et le cadeaurore qu'il devrait lui faire au réveil ne serait certainement pas celui qu'elle attendait. Il habitait sur un mormonticule et il aurait certainement du mal, le lendemain matin, à retrouver son domicile après une longue nuit de caniculte.

Pour calmer son esprit toujours prêt à s'évader, il décida de sortir. Il opta pour la marche à pied car il ne voulait pas micheminer ses chances de rester calme. Il lui fallait oublier, le temps d'une promenade, ses idées rebelles et sa maison en désordre. On se serait cru chez un adoubementier du Moyen Age. Victime de la publicité ubiquitaire et consommassommante, il avait accumulé toute une série d'ustensiles et d'objets curieux dont il n'arrivait pas à se débarrasser : un ordinosaure, un paraventilateur, une varton, une lampe à pétropique, un bancrochepied, des ridéaux, un accordéolien qu'il avait reçu au dernier révermillon, un biberonfleur assez bruyant mais en bon état, une paire de casserollers très appréciés pour leur voyagilité, un japoney en peluche acheté dans hippocampement, un frigodemichet, une petite barque qu'il n'avait jamais réussi à canommer, un coqualicot, une pipe caniculottée sans précaution, un bac à glassonnerie, un couteau à campain, une descente de lit qui sortait tout juste de chez le tapiculteur et un livremort, pas très gai mais pas cher non plus, qui était en fait un gros traité de généalogis. Il avait fini par éprouver une graversion pour son tas de briques. Un jour il le quitterait pour de bon et personne ne saurait où le retrouver.

Afin de se changer les idées il tenta de se rappeler le chiffre de l'émunération des travailleurs compertinents mais cet artifice échoua car il avait du mal à estimer la valeur de l'argentil. Il se mit à penser à la dernière conquête qu'il lui restait à faire, une jeune femme avenante dont il venait de s'amourager et qui n'était autre que la caissière de sa banque. Il décida de se rendre à son guichet pour voir si, cette fois, il oserait lui demander son prénom et tenter d'en faire son élasticœur.

Il s'emprimata vers l'agence et, après avoir été autorisé à franchir le sas, vers la dame de ses pensées. Il aimait venir dans ce lieu sans gloire parce qu'il savait y rencontrer la seule personne qui le faisait encore rêver. N'avait-elle pas des yeux couleur d'arc-en-ciel, ce qui lui rappelait son ordinatheure préféré ? Ne lui donnait-elle pas de l'argent à chaque fois qu'il lui en demandait ? Il était prêt à dire n'importe quoi pour attirer son attention, lui béavouer son désir, mais elle l'impressionnait et il se mit à la lubrifixer sans rien dire. Lorsqu'il osa enfin se risquer, la première phrase qui lui vint à l'esprit fut : "Encore un potindécent. On dit que Patrick Bruel va écrire lui-même ses chansons." La caissière baissa les yeux et entreprit de passer avec insistance et modestie une jolime sur l'extrémité de ses ongles en forme de calebasse. Elle se décida enfin à répondre:

- Oui. Mes journaux favoris, "Voilà" et "Glacis", le confirment. Je l'ai lu également dans un marabouquin qui traînait chez ma coiffeuse, "Les immondains".

Le satire-larigot contemplait avec insistance les élastimousses qui ornaient les cheveux couleur de prune de celle qu'il convoitait. Il voulait, à tout prix, connaître son prénom et il eut soudain l'envie de la voutoyer. C'est alors qu'il aperçut à son annulaire gauche un anneau d'or qu'il ne lui connaissait pas, ce qui le fit rougir de dépit. Constatant le trouble de son client, désireuse de couper court à toute initiative qui la mettrait mal à l'aise, la jeune femme déclara avec un sourire distancié qu'elle venait d'épouser le directeur de l'agence. C'était un chagringalet que le satire-larigot, contrairement à son chèque mensuel, n'avait jamais pu encaisser. Abasourdi par la nouvelle, il sortit de la banque sans même réclamer un bordeuro.

Révolté, inconscieusement blessé et le cœur pointillant, il se dépêcha de rentrer chez lui. Pour mieux se venger, il voulait ajouter à son blog un billet absensuel dont il avait déjà le titre: "La corrupture". Au début il avait été un gandibloggeur sans problème, puis son humeur était devenue mélancoulissante et blogrégaire. Il versait souvent des pleurres avec un manque de sincérité qui l'effrayait lui-même. Il avait bien essayé la pepsichanalyse mais ça n'avait rien changé. Il gardait en lui une tristespérance à toute épreuve et arrimait sur la toile, au moindre prétexte, des intituliens d'une grande noirceur, sans jamais pouvoir les ordifférer. Il n'était pas le seul, mais il était le plus nostalgique. La croissance de Gandi, qui suivait une progression blogarithmique, aurait dû le rassurer mais il était trop tard. Il allait quitter, sans regret, un monde où il n'avait plus sa place.

Il prit possession de son clavier, caressa machinalement sa souris et commença à rédiger une longue diatribe sur l'inutilité des amours contrariées, surtout quand elles n'ont jamais commencé. Comme il n'y avait plus de femme à conquérir dans son village il en vint à la conclusion qu'il était temps de se perdre dans les méandres du virtuel. Pour se venger, et avant d'entrer pour l'éternité dans la blogalaxie, il décida – dernier acte solennel et grandiose de son aventure humaine - que la banquaissière s'appelait Gertrude.

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